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2 juin 2020

Cannabis médical, quelle réglementation post-légalisation ?

Le cannabis est un cas exceptionnel du point de vue de la réglementation du médicament. Permettre son usage en tant que thérapeutique soulève un certain nombre de questions liées au statut et à la forme du produit. Notamment, le cannabis ou les extraits qui en sont issus devront-ils, et à quelle échéance, obtenir une AMM ? Si c’est le cas, devront-il effectuer des essais cliniques ? Au vu des coûts et des délais, les enjeux sont cruciaux, que ce soit pour les patients ou pour les entreprises qui parient sur une légalisation à visée médicale de la plante. Nous verrons pourquoi la légalisation du cannabis thérapeutique pourrait ne pas être suffisante pour permettre immédiatement sa prescription, après avoir fait un panorama de la réglementation du médicament et spécifiquement du médicament à base de plantes.

 

Le contexte (l’ANSM et le parlement)

Une expérimentation doit[1] être menée en 2020 par l’ANSM pour évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis pour les patients. Il ne s’agit pas de montrer l’efficacité ou non du cannabis dans le traitement de maladies ou de symptômes. Il s’agit en réalité d’évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis pour les patients : comment prescrire le cannabis médical, le distribuer, le délivrer et suivre les patients.

Cette expérimentation doit démarrer en septembre 2020[2], pour deux ans, et concerner 3000 patients réfractaires aux thérapies accessibles dans l’un des 5 types de symptômes ou pathologies sélectionnés (douleurs neuropathiques, épilepsie pharmaco résistante, oncologie, situations palliatives, spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central). Au terme de l’essai, un rapport doit être remis au parlement.

Parallèlement à cette expérimentation, le parlement doit se pencher sur la question du cannabis au travers de sa « mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis ».

Cette mission doit étudier trois usages du cannabis: le médical, le récréatif, et le bien-être. Concernant le cannabis thérapeutique, elle doit notamment envisager les éventuelles modalités de légalisation du cannabis thérapeutique en parallèle des modalités de distribution concrètes du ou des produits et de la constitution d’une filière française. Là également, un rapport est attendu fin 2020.

Si l’on sait que les patients inclus dans l’expérimentation seront traités pendant toute la durée de celle-ci, on ne sait pas, officiellement, ce qui se passera pour les patients après la fin de celui-ci. Ou dit autrement, personne ne sait quelle sera la marche à suivre pour mettre le cannabis sur le marché, si celui-ci est autorisé.

Aussi, la question se pose : à quoi peut-on s’attendre en termes de « légalisation de l’usage médical du cannabis » ? Si elle survient, que signifie-t-elle ? Plus précisément, comment s’intégrera-t-elle dans la réglementation actuelle du médicament ?

 

La réponse à cette question déterminera les modalités de transition entre l’expérimentation et la mise en place d’une distribution sous prescription.

A l’occasion de mes échanges avec différents acteurs du marché potentiel, je me suis aperçue que beaucoup pensaient que la légalisation permettrait ipso facto la prescription du produit, et que d’autres pensaient au contraire qu’il ne s’agirait que d’une première étape avant de longues années de procédures. Pour certains, si l’expérimentation s’avérait positive, les patients pourraient se voir ipso facto prescrire du cannabis. Pour d’autres, il faudrait encore passer par d’autres procédures d’autorisation spécifiques aux médicaments pour que cela devienne possible.

Pour y voir clair, il est nécessaire d’exposer d’abord quelques notions de la réglementation du médicament : qu’est-ce qu’un médicament, comment est-il ou non autorisé, quelles sont les spécificités des médicaments à base de plantes et quelle est (serait) la place du cannabis dans cet ensemble ?

Les lecteurs qui sont familiers de la réglementation du médicament sont invités à sauter directement au paragraphe « un cannabis = des médicaments »

 

L’autorisation du médicament (l’AMM et ses versions)

En principe pour qu’un médicament soit mis sur le marché en France[3], il faut qu’il obtienne une « autorisation de mise sur le marché » ou « AMM ».

Pour ce faire, un laboratoire pharmaceutique va développer une molécule ou une formule qui lui parait prometteuse. Il va ensuite faire des tests ou essais cliniques pour vérifier que le produit est efficace et sûr. Il va enfin constituer un dossier conséquent qui sera analysé par l’agence du médicament compétente (l’ANSM en France ou l’EMA pour les procédures européennes). C’est cet organisme qui décidera si le produit peut être mis sur le marché.  L’obtention d’une AMM dure plusieurs années[4].

Parfois, la procédure d’AMM est adaptée à la situation ou au type de produit concerné.

Il existe des AMM conditionnelles : il s’agit d’AMM européennes qui sont accordées avant que toutes les données relatives au médicament ne soient disponibles, parce que le bénéfice de la disponibilité immédiate du médicament l’emporte sur le risque de données incomplètes. Ces AMM concernent des produits destinés à soigner des maladies graves, invalidantes ou pouvant mettre la vie du patient en danger, en ce compris les médicaments orphelins. Ces AMM conditionnelles sont valables un an et sont renouvelables. Une fois que le laboratoire dispose des données complètes qui confirment le rapport bénéfice/risque positif du produit, l’AMM conditionnelle peut être convertie en AMM standard.

Il existe également des autorisations « exceptionnelles » délivrées pour des médicaments pour lesquels des données complètes ne peuvent pas être obtenues, parce qu’il n’est raisonnablement pas possible de les obtenir : soit que les indications visées se présentent si rarement que le laboratoire ne peut raisonnablement être tenu de fournir des renseignements complets, soit que l’état d’avancement de la science ne permet pas d’apporter ces renseignements.  Dans ces circonstances exceptionnelles, l’EMA délivre une autorisation réévaluable tous les ans.

En France, il est possible de mettre certains médicaments sur le marché de façon temporaire, avant qu’ils n’obtiennent leur AMM. Il s’agit de médicaments en cours de développement, destinés à des malades atteints de maladies graves ou rares, lorsqu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique. Ces autorisations temporaires ou ATU peuvent viser un groupe de patients (ATU de cohorte ou ATUc) ou un patient à titre individuel (ATU nominative ou ATUn)[5]. Il s’agit d’une démarche équivalente à celle de l’usage compassionnel en Europe[6].

Une fois qu’il a obtenu son AMM, le médicament devient ce qu’on appelle dans le jargon réglementaire une «spécialité »[7]. Ce terme fait référence à la façon dont le médicament est fabriqué et présenté. Une spécialité est un médicamentfabriqué à l’avance (c’est-à-dire par un industriel), porte un nom spécifique (par exemple Euphytose ou STREPSIL), et qui est délivré dans un conditionnement déterminé (boite, tube, flacon etc.). Les « spécialités » sont le plus souvent des médicaments contenant une molécule active chimique, qui a fait l’objet de longs développements par un ou plusieurs laboratoires.

Mais il existe en réalité de nombreux « types » de médicaments[8]. Certains ne sont d’ailleurs pas soumis à une procédure d’AMM.

 

Les diverses sortes de médicaments

Le code de la santé publique (CSP) dresse une longue liste de différents types de médicaments[9]. Chaque catégorie est régie par des dispositions légales spécifiques.

On y trouve par exemple diverses sortes de spécialités différentes : ainsi les médicaments homéopathiques ou à base de plante[10] peuvent être des spécialités. L’Oscillococcinum est une spécialité homéopathique[11]. L’Euphytose une spécialité de phytothérapie (c’est-à-dire un médicament à base de plantes).

Les médicaments stupéfiants ne sont pas cités comme une catégorie à part dans la liste des médicaments du code de la santé publique. Ils sont néanmoins soumis à une réglementation particulière pour leur prescription, leur stockage et leur délivrance. Ces médicaments sont des spécialités soumises à AMM et leurs AMM contiennent diverses restrictions (par exemple pour certains la délivrance par des médecins spécialistes) qui permettent d’encadrer leur utilisation.

On trouve également dans la liste du CSP d’autres types de médicaments, qui ne sont pas des spécialités. Il s’agit par exemple des préparations magistrales et des préparations officinales.

Les préparations magistrales[12] sont des médicaments fabriqués sur mesure. C’est le médecin qui va décider de la formule du médicament, parce qu’il n’existe pas, sur le marché français, de spécialités qui réponde au besoin spécifique de son patient. Le médecin va donc prescrire, à un patient spécifique, un produit dont il indiquera la formule sur une ordonnance. La fabrication de ce médicament sera confiée à un pharmacien (ou plus souvent à un laboratoire sous-traitant du pharmacien). 

Seules les matières premières répondant aux spécifications de la pharmacopée peuvent être utilisées, en principe, « sauf en cas d'absence de matière première répondant auxdites spécifications disponible et adaptée à la réalisation de la préparation considérée » [13]. Par ailleurs, un certain nombre de plantes ou de matières premières sont interdite d’utilisation pour les préparations magistrales (par exemple le fruit vert de Citrus aurantium L. ssp aurantium, ou les anorexigènes). Le cannabis ne peut être utilisé en France comme ingrédient dans une préparation magistrale, parce que son « emploi » est tout bonnement interdit en France (voir plus bas).

Les préparations officinales[14] sont des préparations préparées en pharmacie et destinées à être dispensées directement aux patients de cette pharmacie. Les formules de ces préparations sont prévues sont inscrites à la pharmacopée[15] ou au formulaire national[16]. Elles sont délivrées sous la responsabilité du pharmacien, et non obligatoirement suite à une prescription médicale.

Dans le cadre de notre exposé, la différence fondamentale entre ces différentes catégories de médicaments est que les spécialités doivent obtenir une AMM pour être mises sur le marché, alors que les préparations magistrales et officinales n’en ont pas besoin.

 

Quid des plantes médicinales ?

Pour qu’une plante soit « médicinale », il faut qu’elle figure à la pharmacopée européenne ou française. La pharmacopée française comporte deux listes de plantes qui ont des statuts différents :

  • les plantes de la liste B ont des effets indésirables potentiels qui sont supérieurs au bénéfice thérapeutique attendu. On y trouve par exemple l’Aconit, la Cigüe, et l’If. Ces plantes ne peuvent pas être utilisées en Phytothérapie en raison de leur toxicité importante. Mais elles peuvent l’être en dilution, pour la préparation de médicaments homéopathiques.
  • les plantes de la liste A sont des plantes médicinales utilisées traditionnellement en France (métropolitaine et Outre-Mer) ou dans les médecines traditionnelles chinoise ou ayurvédique. On y trouve notamment la Grande Absinthe ou l’Aubépine mais également des plantes alimentaires ou des épices, comme l’Ail, la Camomille et la Coriandre.

Comme on le voit ci-dessus, un certain nombre de plantes médicinales de la liste A ont été identifiées comme pouvant avoir également des usages alimentaires et/ou condimentaires. Elles ne relèvent donc pas « en elle-même » du domaine du médicament. De plus, le plus souvent une partie de la plante seulement est considérée comme ayant des propriétés médicamenteuses. Lorsqu’elles n’ont pas d’usage alimentaire ou condimentaire, les plantes médicinales sont réservées à la vente en pharmacie[17].

Lorsque les plantes médicinales sont délivrées en vrac, on parle de « drogues végétales ». Elles peuvent être délivrées telles quelles, sous forme de préparations magistrales, mais elles peuvent également utilisées pour la confection de spécialités.

 

Les médicaments à base de plantes (usage traditionnel) et l’usage médical bien établi

La liste des médicaments du code de la santé publique[18] vise les médicaments à base de plante. Ces médicaments sont composés soit de « substances végétales » (c’est-à-dire de plantes) soit de « préparations à base de plantes » (c’est-à-dire de mélanges de plantes). On parle ici de spécialités à base de plante[19], des - « vrais » - médicaments qui doivent obtenir une AMM.

On dit souvent que la procédure d’AMM pour les médicaments à base de plantes est une procédure « simplifiée ». En fait, les médicaments à base de plante peuvent tout à fait être soumis à une procédure d’AMM « standard ». C’est ce qui s’est passé pour le Sativex, par exemple[20]. Dans ce cas le médicament à base de plante soumet à l’agence du médicament concernée le même type de dossier que tout médicament chimique ou allopathique.

Toutefois, lorsque qu’on connait bien et depuis longtemps l’usage médical de plantes qui entrent dans la composition d’un médicament, on considère qu’il n’est pas la peine de justifier à nouveau de l’efficacité et de la sécurité du produit.

Ainsi le Laboratoire qui souhaite mettre sur le marché un médicament dont il peut justifier que les plantes qui le composent ont un usage traditionnel[21] en France ou dans l’Union Européenne, n’aura pas à faire d’études cliniques. L’efficacité et de la sécurité des substances actives seront attestées par des études bibliographiques, c’est-à-dire par de la littérature scientifique. Le médicament en question n’obtiendra pas une « AMM » mais un « enregistrement ». Dans les faits, cette distinction administrative sera sans incidence. Le médicament sera vendu comme n’importe quel autre, en pharmacie. Toutefois les indications autorisées pour ce type de médicament ne peuvent couvrir que des affections mineures ou des symptômes bénins. Ce type de procédure ne peut donc pas être utilisé pour des affections graves.

Il existe enfin une troisième procédure ouverte pour l’autorisation des médicaments à base de plantes,  lorsque les substances actives du médicament sont d'un usage médical bien établi[22] depuis au moins dix ans dans l’UE, que leur efficacité est reconnue et qu’elles présentent un niveau acceptable de sécurité. Dans ce cas, les résultats des essais pharmaceutiques précliniques et cliniques du dossier de demande d’AMM peuvent être remplacés par une documentation bibliographique scientifique. Le médicament obtiendra une AMM.

Les médicaments concernés par cette procédure sont inscrits au répertoire générique des plantes[23]. Ils sont substituables entre eux s’ils font partie d’un même groupe, c’est-à-dire qu’ils sont définis par une même substance active[24] décrite par une monographie européenne[25].

En conclusion, puisqu’ils ne sont le plus souvent pas soumis à études cliniques, le développement des médicaments à base de plantes est bien moins onéreux que celui des médicaments « chimiques » concernant des molécules nouvelles ou dont l’usage médical dans l’UE n’est pas bien établi. Les études cliniques sont un poste de coût significatif, voire le poste de coût le plus important du développement d’un médicament.

 

Le coût du médicament

Le coût de mise sur le marché d’un médicament peut se comprendre ou se calculer de bien des façons. Ce coût peut inclure le coût du développement du médicament, des essais cliniques et des dossiers réalisés pour son autorisation. Il peut également inclure le coût des échecs des molécules qui n’aboutiront pas à un médicament. Il peut encore inclure le coût de l’argent sur la durée de développement, de la capitalisation, le temps du retour sur investissement…

Un certain nombre d’études se sont penchées[26] sur le coût du médicament, en intégrant ces données.

De façon générale, pour les médicaments « chimiques », le coût du développement et de l’autorisation était en moyenne de 650 millions de dollars par médicament en 2013. En prenant en compte le coût de l’échec et du capital, on atteignait des sommes de l’ordre de 2.6 milliards de dollars par médicament, dont 965 millions pour les essais cliniques (ou 1.4 milliards capitalisés à 10.5% sur 7 ans).  

Une étude américaine de 2014 évaluait spécifiquement le coût des phases I à III des essais cliniques de 40 à 72 millions de dollars en moyenne, par médicament, en fonction des aires thérapeutiques.

Ces sommes ne sont que des ordres de grandeur. Elles permettent toutefois de comprendre la charge financière que peuvent représenter les essais cliniques dans la mise sur le marché d’un médicament.

Le coût dépend de la complexité et de la durée du développement. Les études cliniques ont-elles-mêmes des durées variables : de 7 à 12 ans en moyenne, également en fonction du type de médicament.

 

Les matières premières à usage pharmaceutique

Les ingrédients des médicaments, qu’on appelle MPUP (matières premières à usage pharmaceutique) sont les substances actives et les excipients qui entrent dans la composition des médicaments.

Ces matières premières sont réglementées. Elles doivent répondre aux spécifications de la pharmacopée, quand elles existent[27].

Les solutions extraites des plantes (les « extraits ») peuvent être considérées comme des MPUP, par exemple pour la fabrication de préparations magistrales.  

 

Le cannabis, un stupéfiant

Le cannabis est classé comme stupéfiant au niveau mondial depuis 1961. La Convention unique sur les stupéfiants de l’ONU a jeté les bases de la réglementation internationale concernant cette plante.

Cette Convention classe les stupéfiants selon le risque d’abus possible. Le cannabis est classé au Tableau I « important risque d’abus », comme l’opium, et au Tableau IV « potentiel d’abus fort et effets nocifs importants sans valeur thérapeutique notable » comme l’héroïne.

En France, en conformité avec cette Convention, le CSP prévoit que la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi du cannabis, de sa plante et de sa résine sont interdits[28].

En dehors de la production, ces opérations ne sont pas interdites si elles portent sur une spécialité contenant du cannabis (c’est à dire sur un médicament disposant d’une AMM). Ainsi, lorsqu’une spécialité est autorisée, sa fabrication en France est en principe possible, avec du cannabis cultivé ailleurs.

Par ailleurs des dérogations à ces opérations peuvent être accordées par l’ANSM aux fins de recherche et de contrôle ainsi que de fabrication de dérivés.

Enfin et toujours sur autorisation spécifique de l’ANSM, la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes (« chanvre industriel ») peut être autorisée[29].

Dans l’hypothèse où un pays décide d’autoriser la culture du cannabis en vue de la production de cannabis non industriel (c’est-à-dire hors fibres et graines), la convention unique de 1961 prévoit la mise en place d’un organisme d’état unique chargé de contrôler la production (licences pour cultiver, répartition des parcelles), de l’acheter, d’importer et d’exporter le produit[30]. En Italie, par exemple, c’est l’armée qui centralise les opérations. En Allemagne, c’est l’équivalent de l’ANSM (BfArM).

En Janvier 2019, le DG de l’Organisation Mondiale de la Santé a recommandé diverses évolutions concernant le classement du cannabis et de ses dérivés. Ainsi, il propose de :

  • Supprimer le cannabis du tableau IV où sont classés les produits sans intérêt thérapeutique. Il ne serait plus classé que dans le Tableau I (risques importants d’abus). C’est une reconnaissance indirecte de l’intérêt thérapeutique de la plante.
  • Supprimer les extraits et teintures du Tableau I mais d’y ajouter le dronabidiol et le THC. 

Il précise que le CBD ne devrait pas relever de la Convention de 1961, ce qui revient à dire que le CBD n’est pas un stupéfiant.

Ces recommandations auraient dû être discutées en mars 2020, à la 63ème session de la CND Commission on Narcotic Drugs de l’ONU). Elles ne l’ont pas été et il ne me semble pas que l’ONU ait communiqué sur une date de report.

 

Le cannabis, plante médicinale ?

Le cannabis n’est pas (encore ?) une plante médicinale en France.

Comme on l’a vu, le Cannabis a été classé comme n’ayant pas « d’intérêt thérapeutique » il y a 60 ans et cette affirmation est remise en cause tant par des instances médicales un peu partout dans le monde que par l’OMS.

Cette plante ne figure ni dans la pharmacopée française ni, pour l’instant, dans la pharmacopée européenne. En revanche, l’Allemagne et la Suisse ont introduit le cannabis dans leurs pharmacopées respectives et ont créé des monographies (sortes de fiches d’identité) pour le cannabis.

L’Europe - et plus précisément la Commission européenne de Pharmacopée - s’est saisie il y a quelques années de la question et un projet de monographie est en cours. Elle prendra du temps, si elle vient à voir le jour.

A ce jour, les monographies à l’agenda sont: la fleur de cannabis (3028), l’extrait sec de cannabis (3068) et l’extrait mou de cannabis (3069). Le cannabidiol (3151) et le dronabidiol (3152) ont été rajoutés à l’agenda de la commission en novembre 2019. Seul le travail concernant la fleur a commencé et il n’est pas encore publié.

 

Un cannabis = des médicaments

Il résulte des développements ci-dessus que la réglementation française actuelle n’est pas adaptée pour permettre la mise sur le marché du cannabis. La légalisation du cannabis à usage médical impliquera donc une révision de la réglementation applicable au médicament, et certainement la création d’un statut médicamenteux spécial pour cette plante.

Le statut « pharmaceutique » ou la catégorie de médicament dans laquelle une substance est classée dépend de la forme du produit (plante brute ou extrait de plante ; produit préparé à l’avance de façon industrielle ou à la demande par le pharmacien, etc.), et a des conséquences sur la procédure d’autorisation de mise sur le marché à suivre et sur les modalités de prescription et de délivrance.

Dans les pays dans lesquels le cannabis médical est autorisé, celui-ci l’est sous diverses galéniques et sous divers statuts. S’il est d’ailleurs assez simple de savoir si le cannabis médical peut être prescrit dans un pays ou dans un autre, il est plus difficile de savoir sous quel statut il l’est.

D’un point de vue réglementaire, la « légalisation » du cannabis médical peut signifier plusieurs choses. Cela peut (cumulativement ou non) signifier la légalisation de la culture de la plante pour un usage médical et la mise sur le marché :

  • De la plante elle-même en tant que médicament et matière première,
  • des extraits de la plante, en tant que médicaments, génériques ou non,
  • des extraits en tant que matière première à usage pharmaceutique,
  • Et des préparations magistrales contenant du cannabis

Dans certains pays européens membres, le cannabis est délivré sous le statut de préparation magistrale. Plusieurs commentaires de l’ANSM ou du CCSST suggèrent que les autorités souhaitent que pharmaciens reçoivent le produit en conditionnement individualisé prêt à l’emploi. Dans ce cas, sauf à faire évoluer la définition, le cannabis ne pourra avoir le statut de préparation magistrale.

L’ANSM envisage d’effectuer l’expérimentation avec des fleurs séchées de cannabis et des extraits de cannabis (solutions buvables, capsules d’huile….). Si l’expérimentation réussit, ce sont ces produits qui seront, vraisemblablement, autorisés par la suite.

Il semblerait logique que la plante soit autorisée en tant que « plante médicinale », parce que – justement - c’est une plante. Toutefois, cette plante ne répond pas aux conditions de la liste A et ne répondra pas à celles de la liste B. On suppose donc qu’il faudrait inclure la plante à la pharmacopée en créant une « liste « C » comprenant des plantes qui n’ont pas d’usage traditionnel mais un usage médicamenteux néanmoins.

Concernant les extraits de cannabis, ceux-ci pourraient dans l’absolu déjà être mis sur le marché, sur la base d’une AMM standard.

Aussi, on peut se demander si la démarche des autorités serait ici, soit seulement de permettre la mise sur le marché d’extraits de cannabis cultivés en France une fois une AMM obtenue, soit de permettre la mise sur le marché de ces mêmes extraits sans AMM ou sur la base d’une AMM ou d’un « enregistrement » spécifique.

Si, comme nous l’avons vu, la réglementation actuelle des « AMM plantes » n’est pas adaptée à l’introduction du cannabis, puisque cette plante n’a pas d’ancienneté d’usage et que les indications permises pour ce type d’AMM excluent les maladies graves, on peut toutefois imaginer la mise en place d’un système compassionnel ou conditionnel, du moins dans un premier temps, compte tenu des affections qui ont été retenues pour l’expérimentation.

Du point de vue des patients comme des entreprises du médicament, la question pivot est celle des études cliniques. Dans les autres pays, européens ou non, le cannabis médical, quand il a été autorisé, l’a été sans qu’il ait été besoin de justifier d’études cliniques. Pourtant, d’aucuns redoutent qu’il en soit différemment en France.

Compte tenu des délais qu’impliquent la mise en place de telles études, et l’impact financier sur les investissements des entreprises du médicament, cette question devra être la première à être clarifiée par les autorités. En effet, comment expliquer à des patients qui auront pu bénéficier du cannabis médical pendant l’expérimentation, qu’ils doivent attendre la fin de long processus administratifs et scientifiques pour en bénéficier à nouveau ?

La seconde question pivot est celle de savoir si le cannabis et les extraits qui en sont issus seront considérés comme des « médicaments génériques » ou comme des « médicaments de marque ». La différence est critique et les conséquences substantielles :

  • S’ils étaient considérés comme des médicaments « génériques », c’est-à-dire comme des médicaments ayant les mêmes caractéristiques et compositions quoiqu’ils soient fabriqués par différents opérateurs, on peut imaginer qu’ils soient autorisés sur la base d’une autorisation commune. Chaque opérateur n’aurait qu’à justifier son propre respect des conditions de fabrication. Par exemple, toute sommité ou tout extrait qui satisferait aux conditions édictées par la réglementation pourrait être mis sur le marché.
  • S’ils étaient considérés comme des médicaments « de marque », c’est-à-dire des médicaments uniques, ayant des caractéristiques ou compositions différentes selon les opérateurs, chaque entreprise devrait logiquement demander, s’il en est besoin, une autorisation distincte pour chaque médicament.

Ceci n’est pas neutre, ni en termes de coût ni en termes de délai. Ce n’est pas non plus neutre dans la façon d’aborder les pouvoirs publics pour échanger sur ces questions.

Toutefois, ces interrogations illustrent le fait que, si elle était adoptée, la réglementation du cannabis pourrait mettre à la charge des opérateurs du secteur des conditions de fabrication et/ou d’autorisation des produits qui impliquent des procédures et délais supplémentaires pour que les produits soient mis sur le marché…

…comme tout médicament.

 

 



[1] Ou à tout le moins devait avant que le Coronavirus n’apparaisse

[2] Quoique des retards aient été pris en raison des crises sociales et sanitaires qui se sont succédées début 2020, et que les associations de patients s’inquiètent du manque d’information quant au maintien de l’expérimentation, les politiques se veulent rassurants. Note de l'auteur : Selon communiqué de presse de l'ANSM du 3 juin 2020, l'expérimentation devrait finalement démarrer début 2021

[3] Et plus généralement en Europe

[4] 3 ans en moyenne pour le processus administratif, sans compter les délais liés aux essais qui aboutissent à un total de 12 ans environ.

[5] L’ATU ne remplace pas l’AMM : le laboratoire doit demander une AMM dans l’année de l’octroi d’une ATUc, et l’ATUn ne peut être délivrée que si une ATUc ou une AMM ont été demandés, ou si un essai clinique est en cours.

[6] L’usage compassionnel est un mécanisme qui permet à l’agence du médicament européenne de donner un avis sur la mise à disposition anticipée d’un médicament susceptible de faire l’objet d’une AMM centralisée. Cet avis n’est pas contraignant et est appliqué par les membres de l’UE qui le souhaitent.

[7] Article L5111-2 du code de la santé publique, CSP : On entend par spécialité pharmaceutique, tout médicament préparé à l'avance, présenté sous un conditionnement particulier et caractérisé par une dénomination spéciale.

[8] Je laisse de côté ce qui ressemble à un médicament ou est présenté comme. Les produits qui sont présentés comme des médicaments, c’est-à-dire qui sont présenté comme ayant des propriétés curatives, tombent sous la qualification de médicament. Cela permet d’éviter que des fabricants de poudre de perlimpinpin prêtent à leur poudre des propriétés thérapeutiques qu’elle n’a pas. Article L5111-1 CSP.

[10] Médicament à base de plantes, tout médicament dont les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ou une association de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ;

[11] Médicament homéopathique, tout médicament obtenu à partir de substances appelées souches homéopathiques, selon un procédé de fabrication homéopathique décrit par la pharmacopée européenne, la pharmacopée française ou, à défaut, par les pharmacopées utilisées de façon officielle dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Un médicament homéopathique peut aussi contenir plusieurs principes

[12] Préparation magistrale, tout médicament préparé selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible disposant d'une autorisation de mise sur le marché, de l'une des autorisations mentionnées aux articles L. 5121-9-1 et L. 5121-12, d'une autorisation d'importation parallèle ou d'une autorisation d'importation délivrée à un établissement pharmaceutique dans le cadre d'une rupture de stock d'un médicament, soit extemporanément en pharmacie, soit dans les conditions prévues à l'article L. 5125-1 ou à l'article L. 5126-6 ;

[13] Article L5121-6 CSP

[14] Préparation officinale, tout médicament préparé en pharmacie, inscrit à la pharmacopée ou au formulaire national et destiné à être dispensé directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie ;

[15] la pharmacopée est une compilation des critères de pureté des matières premières ou des préparations entrant dans la fabrication des médicaments et des méthodes d'analyses à utiliser pour en assurer le contrôle

[16] Recueil de formules utilisées par les pharmaciens hospitaliers et officinaux pour réaliser des préparations pharmaceutiques. On y trouve aussi bien la formule de la pommade à l’argent colloïdal, des tisanes de plantes médicinales, que celle du sirop placebo à utiliser dans les essais cliniques.

[17] La vente des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée française est réservée aux pharmaciens, sous réserve des dérogations établies par décret (Art L.4211-1 5°du CSP)

[18] Médicament à base de plantes, tout médicament dont les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ou une association de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes

[19] Exemple : Arkogelules artichaut ; Elusanes Valériane….On peut consulter la liste des médicaments de médication officinale à base de plantes sur le site de l’ANSM

[21] Elles doivent avoir un usage traditionnel à des fins médicales depuis au moins 30 ans dont 15 dans l’UE. Si les plantes figurent sur la Liste communautaire de préparations ou de substances à base de plantes on considère qu’il n’y a pas lieu d’apporter les preuves d’usage, la preuve ayant été faite lors de l’intégration de la plante sur cette liste.

[22] Décret n°2016-469 du 14 avril 2016 et article L. 5121-1 5° b) « peuvent être inscrits au répertoire des spécialités génériques les médicaments à base de plantes (…) qui présentent la même composition qualitative et quantitative en substance active végétale, la même forme pharmaceutique et qui ont une activité thérapeutique équivalente. (…) »

[23] Font partie de ce répertoire des spécialités comme Herbesan, des Laboratoires Super Diet, ou encore Lierre Grimpant HumexPhyto de chez Urgo. A consulter ici.

[24] Même plante, même forme, même solvant, même état et même rapport drogue/extrait.cf ici

[25] Les groupes génériques plantes sont par exemple le Ginkgo biloba, l’Ispaghul, le Lierre grimpant…

[26] Innovation in the pharmaceutical industry: New estimates of R&Dcosts, Joseph A. DiMasi, Henry G. Grabowski, Ronald W. Hansen, Journal of Health Economics 47 (2016) 20–33.

[27] Article L5138-2 et Article L5138-3 CSP

[29] Il s'agit de variétés ayant une teneur en tétrahydrocannabinol n'excédant pas 0,2 % selon le Règlement 1307/2013 (article 32; 6°).

[30] Articles 28 et 23 de la convention.

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