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10 avril 2020

La légalisation du cannabis thérapeutique en France : satisfait et remboursé !

La légalisation du cannabis thérapeutique implique que soit menée en amont une réflexion économique sur la filière dans son entier, notamment sur le prix et les modalités de remboursement du produit. A défaut, les patients risquent de préférer l’automédication et de continuer à se fournir via le marché noir.

L’automédication liée à un défaut de couverture maladie satisfaisante

Une pétition tourne dans le comté de Santa Clara (Californie) pour contester le fait que, en ces temps de Covid19, seuls les patients munis d’une ordonnance puissent se fournir en cannabis[1]. La vente de cannabis est en effet légale depuis 2016 en Californie. La loi sur l’usage de la marijuana par les adultes[2] autorise la détention, l’usage, la culture de cannabis par les personnes de plus de 21 ans. La loi sur la réglementation et la sécurité de l’usage médical et de l’usage par les adultes du cannabis[3] a, quant à elle, rendu possible la vente et la distribution de cannabis à destination des adultes dans des établissements (dispensaires) agréés par l'État.

Or depuis l’entrée en vigueur de ces lois, un nombre significatif de patients ont – selon la pétition - cessé de demander le renouvellement de leur ordonnance. Les visites médicales ont leur prix et impliquent que les malades s’absentent de leur travail pour se rendre chez leur médecin. En permettant l’usage récréatif du cannabis par les adultes, la loi a rendu l’automédication possible : 80% des clients des dispensaires seraient des patients sans ordonnance.

Si des patients californiens décident de ne plus avoir recours à leur médecin, c’est peut-être parce qu’ils estiment – à tort ou à raison – être à même de gérer leur médication. Mais c’est également - et avec certitude - parce que beaucoup d’entre eux ne sont pas ou sont mal assurés.

Aux USA, environ 12%[4] de la population n’a pas d’assurance maladie. Cette partie de la population a tendance à ne faire appel à la médecine que lorsqu’elle y est absolument contrainte, puisqu’elle doit faire face à ses frais médicaux elle-même. Toutefois, bénéficier d’une couverture maladie n’est pas synonyme d’une prise en charge ou d’une prise en charge correcte des frais maladie aux Etats-Unis: l’affection spécifique dont souffre le patient peut ne pas être prise en charge par son assurance ; la franchise qu’il doit débourser avant d’atteindre la somme déclenchant la couverture par son assurance peut être trop importante pour lui ; et enfin la part du prix des médicaments qu’il doit prendre en charge (qui peut être une somme fixe ou un pourcentage) peut le dissuader de les acheter, même s’ils lui ont été prescrits.

Ainsi, une partie de la population américaine va avoir tendance à recourir à l’automédication. Dans le cas du cannabis médical, ce phénomène est exacerbé par le fait que des produits équivalents[5] sont en vente libre pour un usage récréatif.

Que peut-on en déduire dans le cadre d’une réflexion sur la légalisation, en France, du cannabis thérapeutique ? A titre principal, que toute légalisation de l’usage médical du cannabis doit impérativement s’accompagner d’une prise en charge large du produit par l’assurance maladie[6].

En France, l’ANSM projette[7] de mettre en place une expérimentation du cannabis dans des conditions réelles. Il ne s’agit pas là de faire un essai clinique[8]. Il s’agit d’une expérimentation qui permet de tester la mise en place de la prescription et de la dispensation du cannabis thérapeutique, en tant que « nouvelle politique publique ». Cette expérimentation n’a pas pour but d’évaluer l’efficacité du cannabis dans le traitement de maladies. Comme l’explique l’ANSM, ses experts ont considéré que la littérature scientifique et l’utilisation effective du cannabis dans certains pays montrait que le cannabis pouvait être efficace. L’expérimentation du cannabis à usage médical aura ainsi pour objectif d’évaluer « la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis pour les patients, c’est-à-dire la prescription par les médecins, la délivrance par les pharmaciens, l’approvisionnement en produits, le suivi des patients… ».

Les patients bénéficiant de l’expérimentation n’auront rien à payer pendant celle-ci. Par la suite, la couverture des malades dépendra vraisemblablement des affections pour lesquelles le cannabis pourra être prescrit. Si ces affections sont les mêmes que celles pour lesquelles le cannabis thérapeutique sera expérimenté, les patients qui en sont atteints bénéficieront en principe d’une prise en charge au titre des affections de longue durée[9]. Si ces affections sont plus larges que celles pour lesquelles il sera expérimenté, des malades non pris en charge à 100% pourraient s’en voir prescrire. La question du taux de remboursement se posera alors pour ces patients (et leur mutuelle).

Or, la démarche empruntée pour envisager l’introduction du cannabis dans l’arsenal thérapeutique est inédite, et semble ne pas s’orienter vers le processus habituel de fixation du taux de remboursement des médicaments, ou semble pour l’heure être difficilement compatible avec lui.

Un processus innovant et de nombreuses questions en suspend

En règle générale, un laboratoire qui veut commercialiser un nouveau médicament demande une autorisation de mise sur le marché (AMM), qu’il peut obtenir après avoir notamment effectué des essais cliniques, c’est-à-dire avoir testé le produit pour en connaitre les effets, le mécanisme d’action et les effets secondaires[10]. Si ce laboratoire souhaite que son médicament soit remboursé, il se tourne ensuite vers la Haute Autorité de Santé (HAS), qui évalue le Service Médical Rendu (SMR) du produit pour en fixer le taux de remboursement[11]. Lorsqu’il est délivré en en officine, le médicament est remboursé par la sécurité sociale en fonction du taux fixé (et le reste dépend de la mutuelle du patient, s’il en a une). Lors d’une hospitalisation, le coût du médicament est inclus dans le forfait hospitalier.

Dans le cas du cannabis thérapeutique, on ne sait, pour l’heure, pas du tout si cette procédure « classique » sera applicable. Comment en effet concilier la procédure « collective » d’expérimentation non clinique menée par l’ANSM et les évaluations classiques opérées sur les dossiers individuels de médicaments ?

Le cannabis thérapeutique et ses différentes formes bénéficieront-t-il ipso facto d’une autorisation de mise sur le marché s’ils respectent certaines spécifications décidées par l’ANSM, comme une plante médicinale ou une préparation magistrale ? Ou devront-ils se soumettre ensuite à des études cliniques, présenter des dossiers de demande d’AMM (et dans ce cas de quel type ?), quitte à ne permettre dans ce cas l’introduction de ce nouveau médicament que dans plusieurs années ? Les réponses à ces questions dépendent du statut qui sera choisi pour le cannabis thérapeutique.

Il fait peu de doute que, s’il est autorisé, le cannabis thérapeutique sera au sens juridique et réglementaire du terme, un médicament. Toutefois, ce statut comprend diverses catégories dont aucune ne semble adaptée au produit, et plus précisément aux différentes formes envisagées pour ce médicament[12].

Aussi, le peu d’élément actuellement disponible sur le (possible) futur statut du cannabis thérapeutique constitue une difficulté majeure pour les acteurs économiques du secteur. Sans visibilité, les projets d’investissement se font sur la base de projections totalement incertaines.

La compétition avec le marché noir

Le Canada a légalisé le cannabis récréatif en octobre 2018, avec un résultat mitigé. Au bout d’un an, 60% à 70% des achats de cannabis se faisaient toujours de manière illégale[13]. Pourquoi ? En raison du prix du cannabis légal, trop élevé. Le prix moyen du gramme de cannabis légal en 2019 était en effet de 10,23 CAN$, pour 5,59 CAN$ sur le marché noir.

En France, l’on sait que nombre de patients se fournissent actuellement en cannabis via le marché noir. Les associations de patients l’ont amplement expliqué lors des auditions menées tant par l’ANSM que par la mission parlementaire sur les usages du cannabis.

Que le cannabis soit ou non thérapeutique, la question du prix auquel celui-ci peut être vendu, une fois légalisé, dépend de la valeur que lui donne le patient-consommateur. Le prix qu’il est susceptible de payer (pour la part non remboursée dans le cas du cannabis thérapeutique) pour le produit dépend de l’avantage qu’il pense en retirer, que ce soit en termes de tranquillité, de garanties, de qualité ou tout autre spécificité du produit. A défaut d’un coût final adapté, le patient-consommateur continuera à se fournir auprès de circuits illégaux, à l’instar des consommateurs des pays ayant franchi le pas plus tôt.

C’est également vrai à l’autre bout de la chaine de valeur. La santé financière du secteur et la qualité des produits est tributaire de l’adéquation du prix que les différents acteurs du cannabis pourront en obtenir. Si les charges financières des producteurs ou des distributeurs sont trop élevées au regard du prix obtenu, il va de soi que la disponibilité des produits risque d’être compromise.

Or, tout investissement doit être anticipé. Là encore, une information claire est primordiale pour que les entreprises souhaitant fournir le marché français puissent évaluer l’adéquation de leurs investissements avec le rendement envisagé du projet. Ainsi, en parallèle des réflexions relatives à la sécurité médicale du cannabis thérapeutique, des informations devraient être données (ou des possibilités avancées) pour que le secteur puisse se préparer. Si les projets gouvernementaux sont à l'arrêt pour cause de Covid, la période actuelle peut également être une opportunité pour l'ensemble des décideurs pour avancer sur certaines questions de fond avec les acteurs de la (future) filière, et préparer au mieux "l'après".



[2] the Adult Use of Marijuana Act ou AUMA

[3] The Medical and Adult Use of Cannabis Regulation and Safety Act ou MAUCRSA

[5] Ou perçus comme tels

[6] Le projet français d’expérimentation du cannabis médical en situation réelle porté par l’ANSM prévoit que le cannabis soit prescrit par des médecins spécialement formés uniquement et délivré par des pharmaciens ayant également reçu une formation, donc hors circuit illégal, la question de l’automédication ne se poserait pas.  

[7] Ou projetait, avant le COVID19. Actuellement le projet de l’ANSM est à l’arrêt, tout comme la mission parlementaire sur les usages du cannabis https://www.newsweed.fr/reformes-francaises-cannabis-arret/?mc_cid=2f76db13db&mc_eid=77842f806b

[10] Les essais cliniques portant sur les médicaments ont pour objectif, selon le cas, d'établir ou de vérifier certaines données pharmacocinétiques (modalités de l'absorption, de la distribution, du métabolisme et de l'excrétion du médicament), pharmacodynamiques (mécanisme d'action du médicament notamment) et thérapeutiques (efficacité et tolérance) d'un nouveau médicament ou d'une nouvelle façon d'utiliser un traitement connu. https://www.ansm.sante.fr/afssaps/Activites/Essais-cliniques/Qu-est-ce-qu-un-essai-clinique/(offset)/4

[11] Il négocie ensuite le prix de vente du fabricant avec le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) sur la base du niveau d’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR), également fixé par l’HAS. En cas de désaccord entre le titulaire de l’AMM et le CEPS, le CEPS peut le fixer ce prix de façon unilatérale. Le prix de vente au public correspond à ce prix fabricant auquel on ajoute les marges grossistes et pharmaciens.

[12] Ce point sera abordé dans un article ultérieur.

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