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Marchandroit

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22 juin 2020

Allégations versus Indications. A quel sauce manger les plantes?

Il arrive que, lorsqu’on élabore une réglementation, celle-ci ne fonctionne pas exactement comme on l’avait espéré. C’est ce qui est arrivé à l’UE dans le cadre de l’adoption du règlement sur les allégations de santé. Ce règlement, s’il est une véritable avancée sur certains aspects, n’a jamais pu être appliqué entièrement. L’un des points n’ayant jamais été appliqué : les allégations concernant les plantes. Leur régime est dans une zone de non-droit, depuis 2007. Mais quinze ans après l’adoption de ce texte, peut-être s’oriente-t-on vers une solution.

Les allégations de santé

Les produits de grande consommation affichent pour beaucoup des promesses infinies de santé. Que vous ayez besoin de vous refaire une mémoire, un système cardiovasculaire ou plus généralement, une santé, vos aliments indiquent qu’ils ont la réponse. Ces promesses ou « allégations » sont réglementées. Un fabricant, pour pouvoir affirmer que les ingrédients que contient son yaourt ou son complément alimentaire ont une action sur votre santé, doit s’assurer que le produit satisfait un certain nombre de règles. Pour les résumer, le fabricant doit s’assurer que ses affirmations sont vraies.

La réglementation actuelle sur les allégations de santé date de 2006. A l’époque, les promesses étaient faites sous la seule responsabilité du fabricant. Il n’existait pas de contrôle a priori des allégations et certains acteurs en abusaient. Ainsi, des sucettes contenant 100% de sucre pouvaient affirmer sans honte qu’elles ne contenaient pas de gras. Par ailleurs, à cette époque, les réglementations des différents membres de l’union étaient disparates. Il convenait de les unifier, pour permettre la libre circulation des produits dans l’UE.

C’est pourquoi l’Union a publié une réglementation prévoyant notamment :

  • La mise en place d’un « profil nutritionnel » pour les produits. Il s’agissait de s’assurer que les promesses aient un sens par rapport à la composition globale du produit (et éviter le coup des sucettes).  Toutefois, ce profil n’a jamais vu le jour, les parties prenantes n’ayant pas réussi à s’accorder sur sa mise en place. Yuka ou le nutriscore ont en partie comblé le manque.
  • L’approbation préalable par la Commission de toute « promesse santé » pouvant être faite par les aliments. Pour ce faire, l’UE a mis en ligne un registre contenant la liste de toutes les allégations validées. Il recense, par substance, les promesses santé qui peuvent être utilisées par les opérateurs.  Ces promesses ou « allégations de santé » ne sont pas des allégations thérapeutiques : elles ne font pas référence à une action de l’aliment sur des maladies. Ces allégations font référence à des états physiologiques au « fonctionnement normal » desquels tel ou tel aliment peut contribuer. Ainsi, ces allégations prennent la forme suivante : « Le cuivre contribue au transport normal du fer dans l’organisme » ou « La vitamine C contribue au fonctionnement normal du système immunitaire ».

Malheureusement, là encore, l’UE n’a pas pu aller au bout de ses ambitions. Si les méthodes scientifiques de l’EFSA (l’organisme chargé de l’évaluation des allégations pour la Commission) ont permis de valider des allégations pour un certain nombre de substances (par exemple les vitamines), cela n’est pas le cas pour les plantes. Les allégations soumises à la validation de l’EFSA pour les plantes ont été refusées. Au regard des standards de test de l’EFSA, il ne lui était pas possible de mettre en évidence un lien de cause à effet scientifique entre les allégations proposées et les plantes auxquelles elles se rapportaient[1].

Ainsi, il est en principe interdit de dire que la canneberge/cranberry agit en cas d’inconfort urinaire (ou plus exactement, qu’elle « contribue à une santé normale des voies urinaires »). Le lien de cause à effet entre cette plante et l’actions revendiquée n’ayant pu être prouvé par l’EFSA.

Les conséquences de l’application stricte du règlement européen pour les plantes auraient eu des conséquences désastreuses sur le secteur. Pour les fabricants de plante, l’impossibilité de pouvoir expliquer l’action des plantes sur l’organisme aurait été très préjudiciable, car les consommateurs - à de rares exceptions - ne connaissent pas leurs usages.

Aussi, il a été décidé de mettre la question en suspens, en attendant de pouvoir la résoudre.

Les allégations portant sur les plantes

Depuis une quinzaine d’années, les allégations portant sur les plantes sont « en suspens » (« on hold » en anglais). Cela signifie que les fabricants de produits alimentaires à base de plantes peuvent utiliser les 1500 allégations qui avaient été proposées à l’EFSA en 2007, et qui n’avaient pas été analysées à l’époque. Ces allégations doivent être évaluées par l’opérateur (certaines sont en effet sérieuses, d’autres sont farfelues, ou d’autres encore incompréhensibles) qui les utilise sous sa responsabilité. Mais elles n’ont pas été scientifiquement prouvées, contrairement aux allégations concernant les autres substances.

En conséquence, les fabricants de produits alimentaires ou compléments alimentaires à base de plante utilisent actuellement des promesses santé ou « allégations » non harmonisées, qui font l’objet d’interprétations diverses selon les entreprises et selon les pays. Au surplus, l’usage de ces allégations n’est pas pérenne, puisque la solution qui a été mise en place par la Commission, malgré sa longévité, reste provisoire.

La Commission a entamé divers chantiers pour trouver une solution permettant d’attribuer aux plantes des effets-santé, qui soient harmonisés et qui reposent sur des fondements acceptables, d’un point de vue scientifique. Dans ce cadre, elle a récemment publié un document dans lequel elle procède à une évaluation de la réglementation et envisage des pistes de solution[2]. En voici les principaux apports.

En termes d’évaluation de la réglementation, il est apparu que la réglementation des allégations de santé appliquées aux plantes alimentaires n’était pas cohérente au regard de la réglementation des médicaments à base de plantes.

Les médicaments traditionnels à base de plantes

En effet, les médicaments à base de plantes n’ont pas toujours à justifier scientifiquement de l’efficacité des substances actives qui les constituent, pour obtenir l’autorisation d’être mis sur le marché. Dans le cas où la demande de mise sur le marché se base sur l’usage traditionnel[3] des plantes qui constituent le produit, cette efficacité peut être démontrée par la production de littérature scientifique (de la bibliographie).

Ainsi, alors que la preuve de l’efficacité des plantes qui entrent dans la composition d’un médicament à base de plantes peut se faire via la production de bibliographie, la preuve de l’efficacité des plantes alimentaires devrait en principe se faire via des études scientifiques rigoureuses. Pour le dire autrement, l’efficacité des médicaments peut être basée sur l’usage traditionnel des plantes qui les composent, alors que ce n’est pas le cas pour le complément alimentaire. Il y a là deux poids deux mesures que les acteurs du marché n’ont pas manqué de souligner. Et c’est d’autant plus vrai que les mêmes plantes peuvent être médicinales et alimentaires, en fonction de leur usage.

Sur la question, la Commission remarque qu’en pratique, les coûts de développement et d’essais cliniques, et les coûts générés par l’usage des allégations, sont extrêmement différents entre produits de différents statuts.

Les coûts comparés de mise sur le marché

Le coût du développement d’un médicament à base de plantes se situerait entre 130 000 et 600 000 euros, essais cliniques non compris. Les essais cliniques coûteraient, selon les fabricants, de 500 000 euros à 1 million, et pourraient atteindre 100 millions d’euros dans certains cas de nouveaux médicaments.

Pour un complément alimentaire, le cout de lancement se situerait quant à lui entre 90 000 et 135 000 euros. Les coûts des essais cliniques se situeraient entre 280 000 et 1.1. Million d’euros si le promoteur du complément alimentaire souhaite utiliser des allégations nouvelles (et demander une autorisation pour celles-ci). Dans le cas toutefois où le promoteur du produit souhaiterait seulement reprendre une allégation figurant sur la liste « on hold », le coût ne serait que de 600 à 1200 euros.

S’il est bien plus onéreux de développer un médicament à base de plantes qu’un complément alimentaire, on ne peut attendre des consommateurs – selon la commission - qu’ils achètent un médicament à base de plantes sensiblement plus cher qu’un complément alimentaire, surtout si celui-ci contient la même plante, et porte des allégations proches des indications autorisées pour les médicaments. De ce fait, les fabricants de médicaments à base de plantes se plaignent de la concurrence des fabricants de compléments alimentaires à base de plantes, dont les coûts de développement et de fabrication sont moindres.

Cette situation, conclut la commission, pourrait amener des opérateurs à modifier le statut de leur produit et de vendre comme compléments alimentaires ce qui l’a été sous la forme de médicament.

En tout état de cause, ces coûts posent la question du retour sur investissement de la mise sur le marché d’un médicament à base de plantes, et plus généralement également celle de l’innovation dans le domaine des plantes et de leurs effets, médicamenteux ou alimentaires.

Les coûts liés aux essais, qu’ils concernent des médicaments ou des compléments alimentaires à base de plantes dont les allégations seraient innovantes, restreignent les possibilités d’innovation des entreprises, d’autant plus que les produits à base de plante sont soumis à des réglementations différentes pays par pays, et qu’il n’est quasiment pas possible de lancer un seul et même produit pour toute l’union européenne.

Une alternative considérée par la commission serait d’étendre aux plantes alimentaires la notion « d’usage traditionnel », qui est utilisée en matière de plantes à usage médicinal.

Une solution, la tradition

Lorsque les plantes qui composent un médicament sont utilisées depuis trente ans dont au moins 15 ans dans un état de l’UE, on estime que l’innocuité du médicament est démontrée et que son efficacité est plausible, du fait de l’ancienneté de l’usage et de l’expérience[4]. Dans ce cas, le médicament peut être mis en vente pour certaines indications restreintes. Ces indications seront du type « Traditionnellement utilisé pour faciliter la digestion » ou « Traditionnellement utilisé dans la prévention des maux de tête »[5].

Dans le cas de plantes à usage alimentaire, reconnaitre l’ancienneté de cet usage pour justifier leurs effets physiologiques (effet « santé ») permettrait d’éviter d’avoir à prouver leur efficacité de façon scientifique. Ainsi, comme tout le monde sait depuis toujours que la camomille calme et aide au sommeil, il ne serait pas nécessaire de faire repasser des essais cliniques à la camomille pour pouvoir le dire.

Cette solution serait intéressante en ce qu’elle permettait de constituer une liste positive de plantes et de leurs usages traditionnellement reconnus dans le domaine alimentaire. Les fabricants de produits alimentaires n’auraient qu’à s’y référer, comme ils le font actuellement pour les vitamines. Cela ne changerait pas vraiment la pratique actuelle, puisque les acteurs du secteur se réfèrent déjà à une liste positive de plantes « en suspens ».

En revanche cette solution leur apporterait de la sécurité juridique, en leur donnant l’assurance de la légalité des allégations qu’ils emploient. Cela solutionnerait, enfin,  la question de l’évaluation de ces substances.  

Toutefois, cette solution ne serait pas parfaite. Selon le rapport de la Commission, elle n’apporterait pas de solution au manque d’innovation, justement parce que les autorisations seraient basées sur la durée de l’usage. Elle créerait également une distorsion de concurrence au détriment des fabricants de médicaments à base de plantes. En effet, ceux-ci doivent respecter des règles de fabrication très strictes (les Bonnes Pratiques de Fabrication des médicaments), alors que les fabricants de compléments alimentaires sont soumis à des réglementations moins exigeantes, et donc moins coûteuses. Cette solution aboutirait donc à la situation initiale, où les industriels seraient incités à ne fabriquer que des compléments alimentaires, moins couteux et pouvant utiliser des allégations proches des indications médicamenteuses.

Une (autre solution), l'harmonisation

D’où l’idée de la Commission d’harmoniser la réglementation des aliments à base de plantes au niveau européen. Cette harmonisation couvrirait tant les allégations que les aspects de qualité et de sécurité des produits, et permettrait d’établir une cohérence entre les régimes des produits alimentaires et des médicaments à base de plantes.

Avec cette solution, on s’oriente vers un statut unique des produits à base de plantes[6]. En rapprochant ou rendant cohérents les allégations et les indications que peuvent porter les plantes, et ainsi les statuts des compléments alimentaires et des médicaments traditionnels à base de plante, on pourrait aboutir à une réglementation européenne unique du produit à base de plantes. On pourrait même imaginer la création d’un statut unique de type « produit de santé à base de plantes », qui ne serait ni un médicament ni complément alimentaire, mais un produit « tiers », soumis à des règles propres de qualité, de sécurité, et de promotion.

Un phytocament ?

 

 



[1] L’approche de l’EFSA est basée sur des composants identifiés, isolés. Or dans le cas des plantes, les actifs peuvent ne pas être identifiés et liés à des marqueurs spécifiques. 

[2] Commission staff working document: Evaluation of the Regulation (EC) No 1924/2006 on nutrition and health claims made on foods with regard to nutrient profiles and health claims made on plants and their preparations and of the general regulatory framework for their use in foods

[3] Pour être mis sur le marché, les médicaments doivent d’abord obtenir une autorisation d’une agence de santé (l’ANSM pour la France, l’EMA pour l’Europe). Cette autorisation de mise sur le marché (ou AMM) est basée sur une revue préalable, par l’agence, de la sécurité et de l’efficacité du médicament. Dans le cas des médicaments à base de plantes, cette autorisation peut être obtenue via une procédure allégée, basée sur l’ancienneté de l’usage thérapeutique de la plante, c’est-à-dire son « usage traditionnel ». Voir la directive 2004/24/CE modifiant, en ce qui concerne les médicaments traditionnels à base de plantes, la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, transposée en droit français aux articles Article L5121-14-1 et Article R5121-107-3 et suivants. Lors de sa demande de « mise sur le marché » (« demande d’enregistrement » pour être exacte) le fabricant n’a pas à fournir d’essai clinique pour justifier de l’efficacité du produit. Il fournit la démonstration de l’usage trentenaire du médicament via des preuves bibliographiques (c’est-à-dire par de la littérature scientifique), ce qui permet d’admettre l’efficacité du produit. Par ailleurs, l’usage trentenaire est admis automatiquement lorsqu’une plante figure sur la Liste communautaire de préparations ou de substances à base de plantes

[4] R 5121-107-3 CSP

[5] Médicaments traditionnels à base de plantes : liste des indications acceptées pour une mise devant le comptoir

[6] à l’exclusion des médicaments bénéficiant d’une AMM « standard »

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2 juin 2020

Cannabis médical, quelle réglementation post-légalisation ?

Le cannabis est un cas exceptionnel du point de vue de la réglementation du médicament. Permettre son usage en tant que thérapeutique soulève un certain nombre de questions liées au statut et à la forme du produit. Notamment, le cannabis ou les extraits qui en sont issus devront-ils, et à quelle échéance, obtenir une AMM ? Si c’est le cas, devront-il effectuer des essais cliniques ? Au vu des coûts et des délais, les enjeux sont cruciaux, que ce soit pour les patients ou pour les entreprises qui parient sur une légalisation à visée médicale de la plante. Nous verrons pourquoi la légalisation du cannabis thérapeutique pourrait ne pas être suffisante pour permettre immédiatement sa prescription, après avoir fait un panorama de la réglementation du médicament et spécifiquement du médicament à base de plantes.

 

Le contexte (l’ANSM et le parlement)

Une expérimentation doit[1] être menée en 2020 par l’ANSM pour évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis pour les patients. Il ne s’agit pas de montrer l’efficacité ou non du cannabis dans le traitement de maladies ou de symptômes. Il s’agit en réalité d’évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis pour les patients : comment prescrire le cannabis médical, le distribuer, le délivrer et suivre les patients.

Cette expérimentation doit démarrer en septembre 2020[2], pour deux ans, et concerner 3000 patients réfractaires aux thérapies accessibles dans l’un des 5 types de symptômes ou pathologies sélectionnés (douleurs neuropathiques, épilepsie pharmaco résistante, oncologie, situations palliatives, spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central). Au terme de l’essai, un rapport doit être remis au parlement.

Parallèlement à cette expérimentation, le parlement doit se pencher sur la question du cannabis au travers de sa « mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis ».

Cette mission doit étudier trois usages du cannabis: le médical, le récréatif, et le bien-être. Concernant le cannabis thérapeutique, elle doit notamment envisager les éventuelles modalités de légalisation du cannabis thérapeutique en parallèle des modalités de distribution concrètes du ou des produits et de la constitution d’une filière française. Là également, un rapport est attendu fin 2020.

Si l’on sait que les patients inclus dans l’expérimentation seront traités pendant toute la durée de celle-ci, on ne sait pas, officiellement, ce qui se passera pour les patients après la fin de celui-ci. Ou dit autrement, personne ne sait quelle sera la marche à suivre pour mettre le cannabis sur le marché, si celui-ci est autorisé.

Aussi, la question se pose : à quoi peut-on s’attendre en termes de « légalisation de l’usage médical du cannabis » ? Si elle survient, que signifie-t-elle ? Plus précisément, comment s’intégrera-t-elle dans la réglementation actuelle du médicament ?

 

La réponse à cette question déterminera les modalités de transition entre l’expérimentation et la mise en place d’une distribution sous prescription.

A l’occasion de mes échanges avec différents acteurs du marché potentiel, je me suis aperçue que beaucoup pensaient que la légalisation permettrait ipso facto la prescription du produit, et que d’autres pensaient au contraire qu’il ne s’agirait que d’une première étape avant de longues années de procédures. Pour certains, si l’expérimentation s’avérait positive, les patients pourraient se voir ipso facto prescrire du cannabis. Pour d’autres, il faudrait encore passer par d’autres procédures d’autorisation spécifiques aux médicaments pour que cela devienne possible.

Pour y voir clair, il est nécessaire d’exposer d’abord quelques notions de la réglementation du médicament : qu’est-ce qu’un médicament, comment est-il ou non autorisé, quelles sont les spécificités des médicaments à base de plantes et quelle est (serait) la place du cannabis dans cet ensemble ?

Les lecteurs qui sont familiers de la réglementation du médicament sont invités à sauter directement au paragraphe « un cannabis = des médicaments »

 

L’autorisation du médicament (l’AMM et ses versions)

En principe pour qu’un médicament soit mis sur le marché en France[3], il faut qu’il obtienne une « autorisation de mise sur le marché » ou « AMM ».

Pour ce faire, un laboratoire pharmaceutique va développer une molécule ou une formule qui lui parait prometteuse. Il va ensuite faire des tests ou essais cliniques pour vérifier que le produit est efficace et sûr. Il va enfin constituer un dossier conséquent qui sera analysé par l’agence du médicament compétente (l’ANSM en France ou l’EMA pour les procédures européennes). C’est cet organisme qui décidera si le produit peut être mis sur le marché.  L’obtention d’une AMM dure plusieurs années[4].

Parfois, la procédure d’AMM est adaptée à la situation ou au type de produit concerné.

Il existe des AMM conditionnelles : il s’agit d’AMM européennes qui sont accordées avant que toutes les données relatives au médicament ne soient disponibles, parce que le bénéfice de la disponibilité immédiate du médicament l’emporte sur le risque de données incomplètes. Ces AMM concernent des produits destinés à soigner des maladies graves, invalidantes ou pouvant mettre la vie du patient en danger, en ce compris les médicaments orphelins. Ces AMM conditionnelles sont valables un an et sont renouvelables. Une fois que le laboratoire dispose des données complètes qui confirment le rapport bénéfice/risque positif du produit, l’AMM conditionnelle peut être convertie en AMM standard.

Il existe également des autorisations « exceptionnelles » délivrées pour des médicaments pour lesquels des données complètes ne peuvent pas être obtenues, parce qu’il n’est raisonnablement pas possible de les obtenir : soit que les indications visées se présentent si rarement que le laboratoire ne peut raisonnablement être tenu de fournir des renseignements complets, soit que l’état d’avancement de la science ne permet pas d’apporter ces renseignements.  Dans ces circonstances exceptionnelles, l’EMA délivre une autorisation réévaluable tous les ans.

En France, il est possible de mettre certains médicaments sur le marché de façon temporaire, avant qu’ils n’obtiennent leur AMM. Il s’agit de médicaments en cours de développement, destinés à des malades atteints de maladies graves ou rares, lorsqu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique. Ces autorisations temporaires ou ATU peuvent viser un groupe de patients (ATU de cohorte ou ATUc) ou un patient à titre individuel (ATU nominative ou ATUn)[5]. Il s’agit d’une démarche équivalente à celle de l’usage compassionnel en Europe[6].

Une fois qu’il a obtenu son AMM, le médicament devient ce qu’on appelle dans le jargon réglementaire une «spécialité »[7]. Ce terme fait référence à la façon dont le médicament est fabriqué et présenté. Une spécialité est un médicamentfabriqué à l’avance (c’est-à-dire par un industriel), porte un nom spécifique (par exemple Euphytose ou STREPSIL), et qui est délivré dans un conditionnement déterminé (boite, tube, flacon etc.). Les « spécialités » sont le plus souvent des médicaments contenant une molécule active chimique, qui a fait l’objet de longs développements par un ou plusieurs laboratoires.

Mais il existe en réalité de nombreux « types » de médicaments[8]. Certains ne sont d’ailleurs pas soumis à une procédure d’AMM.

 

Les diverses sortes de médicaments

Le code de la santé publique (CSP) dresse une longue liste de différents types de médicaments[9]. Chaque catégorie est régie par des dispositions légales spécifiques.

On y trouve par exemple diverses sortes de spécialités différentes : ainsi les médicaments homéopathiques ou à base de plante[10] peuvent être des spécialités. L’Oscillococcinum est une spécialité homéopathique[11]. L’Euphytose une spécialité de phytothérapie (c’est-à-dire un médicament à base de plantes).

Les médicaments stupéfiants ne sont pas cités comme une catégorie à part dans la liste des médicaments du code de la santé publique. Ils sont néanmoins soumis à une réglementation particulière pour leur prescription, leur stockage et leur délivrance. Ces médicaments sont des spécialités soumises à AMM et leurs AMM contiennent diverses restrictions (par exemple pour certains la délivrance par des médecins spécialistes) qui permettent d’encadrer leur utilisation.

On trouve également dans la liste du CSP d’autres types de médicaments, qui ne sont pas des spécialités. Il s’agit par exemple des préparations magistrales et des préparations officinales.

Les préparations magistrales[12] sont des médicaments fabriqués sur mesure. C’est le médecin qui va décider de la formule du médicament, parce qu’il n’existe pas, sur le marché français, de spécialités qui réponde au besoin spécifique de son patient. Le médecin va donc prescrire, à un patient spécifique, un produit dont il indiquera la formule sur une ordonnance. La fabrication de ce médicament sera confiée à un pharmacien (ou plus souvent à un laboratoire sous-traitant du pharmacien). 

Seules les matières premières répondant aux spécifications de la pharmacopée peuvent être utilisées, en principe, « sauf en cas d'absence de matière première répondant auxdites spécifications disponible et adaptée à la réalisation de la préparation considérée » [13]. Par ailleurs, un certain nombre de plantes ou de matières premières sont interdite d’utilisation pour les préparations magistrales (par exemple le fruit vert de Citrus aurantium L. ssp aurantium, ou les anorexigènes). Le cannabis ne peut être utilisé en France comme ingrédient dans une préparation magistrale, parce que son « emploi » est tout bonnement interdit en France (voir plus bas).

Les préparations officinales[14] sont des préparations préparées en pharmacie et destinées à être dispensées directement aux patients de cette pharmacie. Les formules de ces préparations sont prévues sont inscrites à la pharmacopée[15] ou au formulaire national[16]. Elles sont délivrées sous la responsabilité du pharmacien, et non obligatoirement suite à une prescription médicale.

Dans le cadre de notre exposé, la différence fondamentale entre ces différentes catégories de médicaments est que les spécialités doivent obtenir une AMM pour être mises sur le marché, alors que les préparations magistrales et officinales n’en ont pas besoin.

 

Quid des plantes médicinales ?

Pour qu’une plante soit « médicinale », il faut qu’elle figure à la pharmacopée européenne ou française. La pharmacopée française comporte deux listes de plantes qui ont des statuts différents :

  • les plantes de la liste B ont des effets indésirables potentiels qui sont supérieurs au bénéfice thérapeutique attendu. On y trouve par exemple l’Aconit, la Cigüe, et l’If. Ces plantes ne peuvent pas être utilisées en Phytothérapie en raison de leur toxicité importante. Mais elles peuvent l’être en dilution, pour la préparation de médicaments homéopathiques.
  • les plantes de la liste A sont des plantes médicinales utilisées traditionnellement en France (métropolitaine et Outre-Mer) ou dans les médecines traditionnelles chinoise ou ayurvédique. On y trouve notamment la Grande Absinthe ou l’Aubépine mais également des plantes alimentaires ou des épices, comme l’Ail, la Camomille et la Coriandre.

Comme on le voit ci-dessus, un certain nombre de plantes médicinales de la liste A ont été identifiées comme pouvant avoir également des usages alimentaires et/ou condimentaires. Elles ne relèvent donc pas « en elle-même » du domaine du médicament. De plus, le plus souvent une partie de la plante seulement est considérée comme ayant des propriétés médicamenteuses. Lorsqu’elles n’ont pas d’usage alimentaire ou condimentaire, les plantes médicinales sont réservées à la vente en pharmacie[17].

Lorsque les plantes médicinales sont délivrées en vrac, on parle de « drogues végétales ». Elles peuvent être délivrées telles quelles, sous forme de préparations magistrales, mais elles peuvent également utilisées pour la confection de spécialités.

 

Les médicaments à base de plantes (usage traditionnel) et l’usage médical bien établi

La liste des médicaments du code de la santé publique[18] vise les médicaments à base de plante. Ces médicaments sont composés soit de « substances végétales » (c’est-à-dire de plantes) soit de « préparations à base de plantes » (c’est-à-dire de mélanges de plantes). On parle ici de spécialités à base de plante[19], des - « vrais » - médicaments qui doivent obtenir une AMM.

On dit souvent que la procédure d’AMM pour les médicaments à base de plantes est une procédure « simplifiée ». En fait, les médicaments à base de plante peuvent tout à fait être soumis à une procédure d’AMM « standard ». C’est ce qui s’est passé pour le Sativex, par exemple[20]. Dans ce cas le médicament à base de plante soumet à l’agence du médicament concernée le même type de dossier que tout médicament chimique ou allopathique.

Toutefois, lorsque qu’on connait bien et depuis longtemps l’usage médical de plantes qui entrent dans la composition d’un médicament, on considère qu’il n’est pas la peine de justifier à nouveau de l’efficacité et de la sécurité du produit.

Ainsi le Laboratoire qui souhaite mettre sur le marché un médicament dont il peut justifier que les plantes qui le composent ont un usage traditionnel[21] en France ou dans l’Union Européenne, n’aura pas à faire d’études cliniques. L’efficacité et de la sécurité des substances actives seront attestées par des études bibliographiques, c’est-à-dire par de la littérature scientifique. Le médicament en question n’obtiendra pas une « AMM » mais un « enregistrement ». Dans les faits, cette distinction administrative sera sans incidence. Le médicament sera vendu comme n’importe quel autre, en pharmacie. Toutefois les indications autorisées pour ce type de médicament ne peuvent couvrir que des affections mineures ou des symptômes bénins. Ce type de procédure ne peut donc pas être utilisé pour des affections graves.

Il existe enfin une troisième procédure ouverte pour l’autorisation des médicaments à base de plantes,  lorsque les substances actives du médicament sont d'un usage médical bien établi[22] depuis au moins dix ans dans l’UE, que leur efficacité est reconnue et qu’elles présentent un niveau acceptable de sécurité. Dans ce cas, les résultats des essais pharmaceutiques précliniques et cliniques du dossier de demande d’AMM peuvent être remplacés par une documentation bibliographique scientifique. Le médicament obtiendra une AMM.

Les médicaments concernés par cette procédure sont inscrits au répertoire générique des plantes[23]. Ils sont substituables entre eux s’ils font partie d’un même groupe, c’est-à-dire qu’ils sont définis par une même substance active[24] décrite par une monographie européenne[25].

En conclusion, puisqu’ils ne sont le plus souvent pas soumis à études cliniques, le développement des médicaments à base de plantes est bien moins onéreux que celui des médicaments « chimiques » concernant des molécules nouvelles ou dont l’usage médical dans l’UE n’est pas bien établi. Les études cliniques sont un poste de coût significatif, voire le poste de coût le plus important du développement d’un médicament.

 

Le coût du médicament

Le coût de mise sur le marché d’un médicament peut se comprendre ou se calculer de bien des façons. Ce coût peut inclure le coût du développement du médicament, des essais cliniques et des dossiers réalisés pour son autorisation. Il peut également inclure le coût des échecs des molécules qui n’aboutiront pas à un médicament. Il peut encore inclure le coût de l’argent sur la durée de développement, de la capitalisation, le temps du retour sur investissement…

Un certain nombre d’études se sont penchées[26] sur le coût du médicament, en intégrant ces données.

De façon générale, pour les médicaments « chimiques », le coût du développement et de l’autorisation était en moyenne de 650 millions de dollars par médicament en 2013. En prenant en compte le coût de l’échec et du capital, on atteignait des sommes de l’ordre de 2.6 milliards de dollars par médicament, dont 965 millions pour les essais cliniques (ou 1.4 milliards capitalisés à 10.5% sur 7 ans).  

Une étude américaine de 2014 évaluait spécifiquement le coût des phases I à III des essais cliniques de 40 à 72 millions de dollars en moyenne, par médicament, en fonction des aires thérapeutiques.

Ces sommes ne sont que des ordres de grandeur. Elles permettent toutefois de comprendre la charge financière que peuvent représenter les essais cliniques dans la mise sur le marché d’un médicament.

Le coût dépend de la complexité et de la durée du développement. Les études cliniques ont-elles-mêmes des durées variables : de 7 à 12 ans en moyenne, également en fonction du type de médicament.

 

Les matières premières à usage pharmaceutique

Les ingrédients des médicaments, qu’on appelle MPUP (matières premières à usage pharmaceutique) sont les substances actives et les excipients qui entrent dans la composition des médicaments.

Ces matières premières sont réglementées. Elles doivent répondre aux spécifications de la pharmacopée, quand elles existent[27].

Les solutions extraites des plantes (les « extraits ») peuvent être considérées comme des MPUP, par exemple pour la fabrication de préparations magistrales.  

 

Le cannabis, un stupéfiant

Le cannabis est classé comme stupéfiant au niveau mondial depuis 1961. La Convention unique sur les stupéfiants de l’ONU a jeté les bases de la réglementation internationale concernant cette plante.

Cette Convention classe les stupéfiants selon le risque d’abus possible. Le cannabis est classé au Tableau I « important risque d’abus », comme l’opium, et au Tableau IV « potentiel d’abus fort et effets nocifs importants sans valeur thérapeutique notable » comme l’héroïne.

En France, en conformité avec cette Convention, le CSP prévoit que la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi du cannabis, de sa plante et de sa résine sont interdits[28].

En dehors de la production, ces opérations ne sont pas interdites si elles portent sur une spécialité contenant du cannabis (c’est à dire sur un médicament disposant d’une AMM). Ainsi, lorsqu’une spécialité est autorisée, sa fabrication en France est en principe possible, avec du cannabis cultivé ailleurs.

Par ailleurs des dérogations à ces opérations peuvent être accordées par l’ANSM aux fins de recherche et de contrôle ainsi que de fabrication de dérivés.

Enfin et toujours sur autorisation spécifique de l’ANSM, la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes (« chanvre industriel ») peut être autorisée[29].

Dans l’hypothèse où un pays décide d’autoriser la culture du cannabis en vue de la production de cannabis non industriel (c’est-à-dire hors fibres et graines), la convention unique de 1961 prévoit la mise en place d’un organisme d’état unique chargé de contrôler la production (licences pour cultiver, répartition des parcelles), de l’acheter, d’importer et d’exporter le produit[30]. En Italie, par exemple, c’est l’armée qui centralise les opérations. En Allemagne, c’est l’équivalent de l’ANSM (BfArM).

En Janvier 2019, le DG de l’Organisation Mondiale de la Santé a recommandé diverses évolutions concernant le classement du cannabis et de ses dérivés. Ainsi, il propose de :

  • Supprimer le cannabis du tableau IV où sont classés les produits sans intérêt thérapeutique. Il ne serait plus classé que dans le Tableau I (risques importants d’abus). C’est une reconnaissance indirecte de l’intérêt thérapeutique de la plante.
  • Supprimer les extraits et teintures du Tableau I mais d’y ajouter le dronabidiol et le THC. 

Il précise que le CBD ne devrait pas relever de la Convention de 1961, ce qui revient à dire que le CBD n’est pas un stupéfiant.

Ces recommandations auraient dû être discutées en mars 2020, à la 63ème session de la CND Commission on Narcotic Drugs de l’ONU). Elles ne l’ont pas été et il ne me semble pas que l’ONU ait communiqué sur une date de report.

 

Le cannabis, plante médicinale ?

Le cannabis n’est pas (encore ?) une plante médicinale en France.

Comme on l’a vu, le Cannabis a été classé comme n’ayant pas « d’intérêt thérapeutique » il y a 60 ans et cette affirmation est remise en cause tant par des instances médicales un peu partout dans le monde que par l’OMS.

Cette plante ne figure ni dans la pharmacopée française ni, pour l’instant, dans la pharmacopée européenne. En revanche, l’Allemagne et la Suisse ont introduit le cannabis dans leurs pharmacopées respectives et ont créé des monographies (sortes de fiches d’identité) pour le cannabis.

L’Europe - et plus précisément la Commission européenne de Pharmacopée - s’est saisie il y a quelques années de la question et un projet de monographie est en cours. Elle prendra du temps, si elle vient à voir le jour.

A ce jour, les monographies à l’agenda sont: la fleur de cannabis (3028), l’extrait sec de cannabis (3068) et l’extrait mou de cannabis (3069). Le cannabidiol (3151) et le dronabidiol (3152) ont été rajoutés à l’agenda de la commission en novembre 2019. Seul le travail concernant la fleur a commencé et il n’est pas encore publié.

 

Un cannabis = des médicaments

Il résulte des développements ci-dessus que la réglementation française actuelle n’est pas adaptée pour permettre la mise sur le marché du cannabis. La légalisation du cannabis à usage médical impliquera donc une révision de la réglementation applicable au médicament, et certainement la création d’un statut médicamenteux spécial pour cette plante.

Le statut « pharmaceutique » ou la catégorie de médicament dans laquelle une substance est classée dépend de la forme du produit (plante brute ou extrait de plante ; produit préparé à l’avance de façon industrielle ou à la demande par le pharmacien, etc.), et a des conséquences sur la procédure d’autorisation de mise sur le marché à suivre et sur les modalités de prescription et de délivrance.

Dans les pays dans lesquels le cannabis médical est autorisé, celui-ci l’est sous diverses galéniques et sous divers statuts. S’il est d’ailleurs assez simple de savoir si le cannabis médical peut être prescrit dans un pays ou dans un autre, il est plus difficile de savoir sous quel statut il l’est.

D’un point de vue réglementaire, la « légalisation » du cannabis médical peut signifier plusieurs choses. Cela peut (cumulativement ou non) signifier la légalisation de la culture de la plante pour un usage médical et la mise sur le marché :

  • De la plante elle-même en tant que médicament et matière première,
  • des extraits de la plante, en tant que médicaments, génériques ou non,
  • des extraits en tant que matière première à usage pharmaceutique,
  • Et des préparations magistrales contenant du cannabis

Dans certains pays européens membres, le cannabis est délivré sous le statut de préparation magistrale. Plusieurs commentaires de l’ANSM ou du CCSST suggèrent que les autorités souhaitent que pharmaciens reçoivent le produit en conditionnement individualisé prêt à l’emploi. Dans ce cas, sauf à faire évoluer la définition, le cannabis ne pourra avoir le statut de préparation magistrale.

L’ANSM envisage d’effectuer l’expérimentation avec des fleurs séchées de cannabis et des extraits de cannabis (solutions buvables, capsules d’huile….). Si l’expérimentation réussit, ce sont ces produits qui seront, vraisemblablement, autorisés par la suite.

Il semblerait logique que la plante soit autorisée en tant que « plante médicinale », parce que – justement - c’est une plante. Toutefois, cette plante ne répond pas aux conditions de la liste A et ne répondra pas à celles de la liste B. On suppose donc qu’il faudrait inclure la plante à la pharmacopée en créant une « liste « C » comprenant des plantes qui n’ont pas d’usage traditionnel mais un usage médicamenteux néanmoins.

Concernant les extraits de cannabis, ceux-ci pourraient dans l’absolu déjà être mis sur le marché, sur la base d’une AMM standard.

Aussi, on peut se demander si la démarche des autorités serait ici, soit seulement de permettre la mise sur le marché d’extraits de cannabis cultivés en France une fois une AMM obtenue, soit de permettre la mise sur le marché de ces mêmes extraits sans AMM ou sur la base d’une AMM ou d’un « enregistrement » spécifique.

Si, comme nous l’avons vu, la réglementation actuelle des « AMM plantes » n’est pas adaptée à l’introduction du cannabis, puisque cette plante n’a pas d’ancienneté d’usage et que les indications permises pour ce type d’AMM excluent les maladies graves, on peut toutefois imaginer la mise en place d’un système compassionnel ou conditionnel, du moins dans un premier temps, compte tenu des affections qui ont été retenues pour l’expérimentation.

Du point de vue des patients comme des entreprises du médicament, la question pivot est celle des études cliniques. Dans les autres pays, européens ou non, le cannabis médical, quand il a été autorisé, l’a été sans qu’il ait été besoin de justifier d’études cliniques. Pourtant, d’aucuns redoutent qu’il en soit différemment en France.

Compte tenu des délais qu’impliquent la mise en place de telles études, et l’impact financier sur les investissements des entreprises du médicament, cette question devra être la première à être clarifiée par les autorités. En effet, comment expliquer à des patients qui auront pu bénéficier du cannabis médical pendant l’expérimentation, qu’ils doivent attendre la fin de long processus administratifs et scientifiques pour en bénéficier à nouveau ?

La seconde question pivot est celle de savoir si le cannabis et les extraits qui en sont issus seront considérés comme des « médicaments génériques » ou comme des « médicaments de marque ». La différence est critique et les conséquences substantielles :

  • S’ils étaient considérés comme des médicaments « génériques », c’est-à-dire comme des médicaments ayant les mêmes caractéristiques et compositions quoiqu’ils soient fabriqués par différents opérateurs, on peut imaginer qu’ils soient autorisés sur la base d’une autorisation commune. Chaque opérateur n’aurait qu’à justifier son propre respect des conditions de fabrication. Par exemple, toute sommité ou tout extrait qui satisferait aux conditions édictées par la réglementation pourrait être mis sur le marché.
  • S’ils étaient considérés comme des médicaments « de marque », c’est-à-dire des médicaments uniques, ayant des caractéristiques ou compositions différentes selon les opérateurs, chaque entreprise devrait logiquement demander, s’il en est besoin, une autorisation distincte pour chaque médicament.

Ceci n’est pas neutre, ni en termes de coût ni en termes de délai. Ce n’est pas non plus neutre dans la façon d’aborder les pouvoirs publics pour échanger sur ces questions.

Toutefois, ces interrogations illustrent le fait que, si elle était adoptée, la réglementation du cannabis pourrait mettre à la charge des opérateurs du secteur des conditions de fabrication et/ou d’autorisation des produits qui impliquent des procédures et délais supplémentaires pour que les produits soient mis sur le marché…

…comme tout médicament.

 

 



[1] Ou à tout le moins devait avant que le Coronavirus n’apparaisse

[2] Quoique des retards aient été pris en raison des crises sociales et sanitaires qui se sont succédées début 2020, et que les associations de patients s’inquiètent du manque d’information quant au maintien de l’expérimentation, les politiques se veulent rassurants. Note de l'auteur : Selon communiqué de presse de l'ANSM du 3 juin 2020, l'expérimentation devrait finalement démarrer début 2021

[3] Et plus généralement en Europe

[4] 3 ans en moyenne pour le processus administratif, sans compter les délais liés aux essais qui aboutissent à un total de 12 ans environ.

[5] L’ATU ne remplace pas l’AMM : le laboratoire doit demander une AMM dans l’année de l’octroi d’une ATUc, et l’ATUn ne peut être délivrée que si une ATUc ou une AMM ont été demandés, ou si un essai clinique est en cours.

[6] L’usage compassionnel est un mécanisme qui permet à l’agence du médicament européenne de donner un avis sur la mise à disposition anticipée d’un médicament susceptible de faire l’objet d’une AMM centralisée. Cet avis n’est pas contraignant et est appliqué par les membres de l’UE qui le souhaitent.

[7] Article L5111-2 du code de la santé publique, CSP : On entend par spécialité pharmaceutique, tout médicament préparé à l'avance, présenté sous un conditionnement particulier et caractérisé par une dénomination spéciale.

[8] Je laisse de côté ce qui ressemble à un médicament ou est présenté comme. Les produits qui sont présentés comme des médicaments, c’est-à-dire qui sont présenté comme ayant des propriétés curatives, tombent sous la qualification de médicament. Cela permet d’éviter que des fabricants de poudre de perlimpinpin prêtent à leur poudre des propriétés thérapeutiques qu’elle n’a pas. Article L5111-1 CSP.

[10] Médicament à base de plantes, tout médicament dont les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ou une association de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ;

[11] Médicament homéopathique, tout médicament obtenu à partir de substances appelées souches homéopathiques, selon un procédé de fabrication homéopathique décrit par la pharmacopée européenne, la pharmacopée française ou, à défaut, par les pharmacopées utilisées de façon officielle dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Un médicament homéopathique peut aussi contenir plusieurs principes

[12] Préparation magistrale, tout médicament préparé selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible disposant d'une autorisation de mise sur le marché, de l'une des autorisations mentionnées aux articles L. 5121-9-1 et L. 5121-12, d'une autorisation d'importation parallèle ou d'une autorisation d'importation délivrée à un établissement pharmaceutique dans le cadre d'une rupture de stock d'un médicament, soit extemporanément en pharmacie, soit dans les conditions prévues à l'article L. 5125-1 ou à l'article L. 5126-6 ;

[13] Article L5121-6 CSP

[14] Préparation officinale, tout médicament préparé en pharmacie, inscrit à la pharmacopée ou au formulaire national et destiné à être dispensé directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie ;

[15] la pharmacopée est une compilation des critères de pureté des matières premières ou des préparations entrant dans la fabrication des médicaments et des méthodes d'analyses à utiliser pour en assurer le contrôle

[16] Recueil de formules utilisées par les pharmaciens hospitaliers et officinaux pour réaliser des préparations pharmaceutiques. On y trouve aussi bien la formule de la pommade à l’argent colloïdal, des tisanes de plantes médicinales, que celle du sirop placebo à utiliser dans les essais cliniques.

[17] La vente des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée française est réservée aux pharmaciens, sous réserve des dérogations établies par décret (Art L.4211-1 5°du CSP)

[18] Médicament à base de plantes, tout médicament dont les substances actives sont exclusivement une ou plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes ou une association de plusieurs substances végétales ou préparations à base de plantes

[19] Exemple : Arkogelules artichaut ; Elusanes Valériane….On peut consulter la liste des médicaments de médication officinale à base de plantes sur le site de l’ANSM

[21] Elles doivent avoir un usage traditionnel à des fins médicales depuis au moins 30 ans dont 15 dans l’UE. Si les plantes figurent sur la Liste communautaire de préparations ou de substances à base de plantes on considère qu’il n’y a pas lieu d’apporter les preuves d’usage, la preuve ayant été faite lors de l’intégration de la plante sur cette liste.

[22] Décret n°2016-469 du 14 avril 2016 et article L. 5121-1 5° b) « peuvent être inscrits au répertoire des spécialités génériques les médicaments à base de plantes (…) qui présentent la même composition qualitative et quantitative en substance active végétale, la même forme pharmaceutique et qui ont une activité thérapeutique équivalente. (…) »

[23] Font partie de ce répertoire des spécialités comme Herbesan, des Laboratoires Super Diet, ou encore Lierre Grimpant HumexPhyto de chez Urgo. A consulter ici.

[24] Même plante, même forme, même solvant, même état et même rapport drogue/extrait.cf ici

[25] Les groupes génériques plantes sont par exemple le Ginkgo biloba, l’Ispaghul, le Lierre grimpant…

[26] Innovation in the pharmaceutical industry: New estimates of R&Dcosts, Joseph A. DiMasi, Henry G. Grabowski, Ronald W. Hansen, Journal of Health Economics 47 (2016) 20–33.

[27] Article L5138-2 et Article L5138-3 CSP

[29] Il s'agit de variétés ayant une teneur en tétrahydrocannabinol n'excédant pas 0,2 % selon le Règlement 1307/2013 (article 32; 6°).

[30] Articles 28 et 23 de la convention.

11 avril 2020

The legalization of medical cannabis in France: insurance and black market paradox

The legalization of medical cannabis in France implies that an upstream economic reflection on the entire sector is carried out, particularly on the price and the terms of reimbursement of the product. Failing this, patients may prefer to self-medicate and continue to purchase cannabis via the black market.

Self-medication linked to a lack of satisfactory health insurance coverage

A petition is circulating in Santa Clara County, California, challenging the fact that, in this Covid19 era, only patients with a prescription can obtain cannabis[1]. The sale of cannabis has been legal in California since 2016. The Adult Use of Marijuana Act[2] permits the possession, use, and cultivation of cannabis by persons over 21 years of age. The Medical and Adult Use of Cannabis Regulation and Safety Act[3] has made it possible to sell and distribute cannabis to adults in state-approved retailers.

However, since the entry into force of these laws, a significant number of patients have - according to the petition - stopped applying for the renewal of their prescriptions. Medical visits have their price and involve patients taking time off work to visit their doctor. By allowing recreational use of cannabis by adults, the law has made self-medication possible: 80% of the clients of the state-approved retailers would be patients without a prescription.

If Californian patients decide to stop using their doctors, it may be because they believe - rightly or wrongly - that they can manage their medication. But it is also - and for sure - because many of them are uninsured or underinsured.

In the US, about 12%[4] of the population has no health insurance. This part of the population tends to use medicine only when absolutely forced to do so, since they have to meet their medical costs themselves. However, having health coverage does not mean that health care costs are covered or properly covered in the United States: the specific condition the patient has may not be covered by his or her insurance; the deductible he or she has to pay before reaching the amount triggering coverage by his or her insurance may be too high for him or her; and finally, the proportion of the price of the drugs he or she has to pay for (which may be a fixed amount or a percentage) may dissuade him or her from buying them, even if they have been prescribed.

As a result, part of the American population will tend to resort to self-medication. In the case of medical cannabis, this phenomenon is exacerbated by the fact that equivalent products[5] are available over the counter for recreational use.

What can be deduced from this in the context of a reflection on the legalization of medical cannabis in France? Mainly, that any legalization of the medical use of cannabis must imperatively be accompanied by a broad coverage of the product by the French health insurance[6].

In France, the National Agency for Medicines and Health Products Safety (the ANSM, the French FDA) is planning[7] to set up an experiment on cannabis in real conditions. This is not a clinical trial[8]. It is an experiment aimed to test the implementation of the prescription and dispensing of medical cannabis as a "new public policy". The purpose of this experiment is not to evaluate the effectiveness of cannabis in the treatment of diseases. As explained by the ANSM, its experts considered that the scientific literature and the actual use of cannabis in some other countries showed that cannabis could be effective. The aim of the experimentation of cannabis for medical use will thus be to assess "the feasibility of the circuit for making cannabis available to patients, i.e., prescription by doctors, dispensing by pharmacists, the supply of products, patient monitoring, etc.".

Patients benefiting from the experiment will not have to pay anything during the experiment. Thereafter, coverage of patients will likely depend on the conditions for which cannabis may be prescribed. If these conditions are the same as those for which therapeutic cannabis will be experimented, patients suffering from these conditions will, in principle, be fully covered[9]. If these conditions also comprise other conditions than those for which it will be tested, patients whose costs are not fully covered by the French social security could be entitled to be prescribed cannabis. The question of the rate of reimbursement will then arise for these patients (and their health insurance).

However, the approach taken to consider the introduction of cannabis into the therapeutic arsenal is unprecedented and does not seem to follow the usual French process of setting the rate of drug reimbursement or seems for the time being to be challenging to reconcile with it.

 

An innovative process and many outstanding issues

As a general rule, a laboratory that wants to market a new drug in France applies for a marketing authorization (MA), which it can obtain after, among other things, conducting a clinical trial, i.e., testing the product to find out its effects, mechanism of action and side effects[10]. If the laboratory wishes to have its drug reimbursed, it then turns to the High Authority of Health (HAS), which evaluates the Rendered Medical Service (SMR) of the product to set the reimbursement rate[11]. When it is dispensed in pharmacies, the drug is reimbursed by the French social security according to the set rate (and the rest depends on the patient's health insurance, if he has one). In the case of hospitalization, the cost of medicines is included in the hospital flat-rate.

In the case of medical cannabis, it is not at all clear at the moment whether this "classic" procedure will be applicable. Indeed, how can the "collective" non-clinical experimentation procedure conducted by the ANSM be reconciled with the classic evaluations carried out on individual drug files?

Will medical cannabis and its different pharmaceutical forms ipso facto benefit from a marketing authorization if they comply with certain specifications decided by the ANSM, such as a medicinal plant or a magistral preparation? Or will they then have to undergo clinical studies, submit marketing authorization applications (and if so, what type?), even if this means that the new drug will not be introduced until several years from now? The answers to these questions depend on the legal status that will be chosen for medical cannabis.

There is little doubt that, if authorized in France, medical cannabis will be a drug in the legal and regulatory senses of the term. However, this status includes various categories, none of which seem to be appropriate for the product, and more specifically, for the different pharmaceutical forms under consideration for this medicine[12].

Therefore, the little information currently available on the (possible) future status of medical cannabis constitutes a major difficulty for the economic players in the sector. Without visibility, investment projects are done based on totally uncertain projections.

Competition with the black market

Canada legalized recreational cannabis in October 2018, with mixed results. After one year, 60-70% of cannabis purchases were still illegal[13]. Why was this? Because the price of legal cannabis is too high. The average price per gram of legal cannabis in 2019 was CAN$ 10.23, compared to CAN$ 5.59 on the black market.

In France, it is known that many patients currently obtain cannabis via the black market. Patient associations explained this at length during the hearings conducted by both the ANSM and the parliamentary mission on cannabis use.

Whether cannabis is medical or non-medical, the question of the price at which it can be sold, once legalized, depends on the value that the patient-consumer gives it. The price he is likely to pay (for the non-reimbursed portion in the case of therapeutic cannabis) for the product depends on the benefit he thinks he will derive from it, whether in terms of tranquility, guarantees, quality or any other specificity of the product. In the absence of an appropriate final cost for him, the patient-consumer will continue to obtain the product from illegal channels, as do consumers in the countries that legalized the product earlier.

This is also true at the other end of the value chain. The financial health of the sector and the quality of the products depends on the adequacy of the price that the various players in the cannabis industry will be able to obtain. If the financial burdens on producers or distributors are too high compared to the price they get from the sale of their products, the availability of the products may, of course, be compromised.

However, any investment must be anticipated. Here again, clear information is essential so that companies wishing to supply the French market can assess the adequacy of their investments with the expected return on the project. Thus, in parallel with the medical reflections on the safety of the dispensation of medical cannabis, some information should be given (or possibilities disclosed) so that the sector can prepare itself. If the governmental projects are at a standstill because of the Covid, the current period can also be an opportunity for all decision-makers to make progress on certain critical issues together with the actors of the (future) sector, and to prepare as much as possible for the post-confinement period. 

 



[2] the Adult Use of Marijuana Act or AUMA

[3] The Medical and Adult Use of Cannabis Regulation and Safety Act or MAUCRSA

[5] Or perceived as such

[6] The French experiment project to test medical cannabis in real-life situations carried out by the ANSM provides for cannabis to be prescribed by specially trained doctors only and to be dispensed by pharmacists who have also received training, so the question of self-medication would not arise outside the illegal circuit.

[7] Or was planning, before the Covic19 outbreak. Currently, the ANSM project is at a standstill, as is the parliamentary mission on cannabis use.

https://www.newsweed.fr/reformes-francaises-cannabis-arret/?mc_cid=2f76db13db&mc_eid=77842f806b

[9] because they suffer from a “long term affection”, which is fully covered by the French health insurance

[10] The purpose of clinical trials on medicinal products is to establish or verify certain pharmacokinetic (modalities of absorption, distribution, metabolism, etc. of the medicinal product), pharmacodynamic (e.g., mechanism of action of the medicinal product) and therapeutic (efficacy and tolerance) data for a new medicinal product or a new way of using a known treatment. https://www.ansm.sante.fr/afssaps/Activites/Essais-cliniques/Qu-est-ce-qu-un-essai-clinique/(offset)/4

[11] It then negotiates the manufacturer's sales price with the Economic Committee for Health Products (Comité Economique des Produits de Santé or CEPS) based on the Improvement of the Rendered Medical Service level (Amélioration du Service Médical Rendu or ASMR), also set by the HAS. In the event of disagreement between the MA holder and the CEPS, the CEPS may set this price unilaterally. The price for sale to the public corresponds to this manufacturer's price to which are added the wholesalers and pharmacies’ margins.

[12] This point will be addressed in a subsequent article.

10 avril 2020

La légalisation du cannabis thérapeutique en France : satisfait et remboursé !

La légalisation du cannabis thérapeutique implique que soit menée en amont une réflexion économique sur la filière dans son entier, notamment sur le prix et les modalités de remboursement du produit. A défaut, les patients risquent de préférer l’automédication et de continuer à se fournir via le marché noir.

L’automédication liée à un défaut de couverture maladie satisfaisante

Une pétition tourne dans le comté de Santa Clara (Californie) pour contester le fait que, en ces temps de Covid19, seuls les patients munis d’une ordonnance puissent se fournir en cannabis[1]. La vente de cannabis est en effet légale depuis 2016 en Californie. La loi sur l’usage de la marijuana par les adultes[2] autorise la détention, l’usage, la culture de cannabis par les personnes de plus de 21 ans. La loi sur la réglementation et la sécurité de l’usage médical et de l’usage par les adultes du cannabis[3] a, quant à elle, rendu possible la vente et la distribution de cannabis à destination des adultes dans des établissements (dispensaires) agréés par l'État.

Or depuis l’entrée en vigueur de ces lois, un nombre significatif de patients ont – selon la pétition - cessé de demander le renouvellement de leur ordonnance. Les visites médicales ont leur prix et impliquent que les malades s’absentent de leur travail pour se rendre chez leur médecin. En permettant l’usage récréatif du cannabis par les adultes, la loi a rendu l’automédication possible : 80% des clients des dispensaires seraient des patients sans ordonnance.

Si des patients californiens décident de ne plus avoir recours à leur médecin, c’est peut-être parce qu’ils estiment – à tort ou à raison – être à même de gérer leur médication. Mais c’est également - et avec certitude - parce que beaucoup d’entre eux ne sont pas ou sont mal assurés.

Aux USA, environ 12%[4] de la population n’a pas d’assurance maladie. Cette partie de la population a tendance à ne faire appel à la médecine que lorsqu’elle y est absolument contrainte, puisqu’elle doit faire face à ses frais médicaux elle-même. Toutefois, bénéficier d’une couverture maladie n’est pas synonyme d’une prise en charge ou d’une prise en charge correcte des frais maladie aux Etats-Unis: l’affection spécifique dont souffre le patient peut ne pas être prise en charge par son assurance ; la franchise qu’il doit débourser avant d’atteindre la somme déclenchant la couverture par son assurance peut être trop importante pour lui ; et enfin la part du prix des médicaments qu’il doit prendre en charge (qui peut être une somme fixe ou un pourcentage) peut le dissuader de les acheter, même s’ils lui ont été prescrits.

Ainsi, une partie de la population américaine va avoir tendance à recourir à l’automédication. Dans le cas du cannabis médical, ce phénomène est exacerbé par le fait que des produits équivalents[5] sont en vente libre pour un usage récréatif.

Que peut-on en déduire dans le cadre d’une réflexion sur la légalisation, en France, du cannabis thérapeutique ? A titre principal, que toute légalisation de l’usage médical du cannabis doit impérativement s’accompagner d’une prise en charge large du produit par l’assurance maladie[6].

En France, l’ANSM projette[7] de mettre en place une expérimentation du cannabis dans des conditions réelles. Il ne s’agit pas là de faire un essai clinique[8]. Il s’agit d’une expérimentation qui permet de tester la mise en place de la prescription et de la dispensation du cannabis thérapeutique, en tant que « nouvelle politique publique ». Cette expérimentation n’a pas pour but d’évaluer l’efficacité du cannabis dans le traitement de maladies. Comme l’explique l’ANSM, ses experts ont considéré que la littérature scientifique et l’utilisation effective du cannabis dans certains pays montrait que le cannabis pouvait être efficace. L’expérimentation du cannabis à usage médical aura ainsi pour objectif d’évaluer « la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis pour les patients, c’est-à-dire la prescription par les médecins, la délivrance par les pharmaciens, l’approvisionnement en produits, le suivi des patients… ».

Les patients bénéficiant de l’expérimentation n’auront rien à payer pendant celle-ci. Par la suite, la couverture des malades dépendra vraisemblablement des affections pour lesquelles le cannabis pourra être prescrit. Si ces affections sont les mêmes que celles pour lesquelles le cannabis thérapeutique sera expérimenté, les patients qui en sont atteints bénéficieront en principe d’une prise en charge au titre des affections de longue durée[9]. Si ces affections sont plus larges que celles pour lesquelles il sera expérimenté, des malades non pris en charge à 100% pourraient s’en voir prescrire. La question du taux de remboursement se posera alors pour ces patients (et leur mutuelle).

Or, la démarche empruntée pour envisager l’introduction du cannabis dans l’arsenal thérapeutique est inédite, et semble ne pas s’orienter vers le processus habituel de fixation du taux de remboursement des médicaments, ou semble pour l’heure être difficilement compatible avec lui.

Un processus innovant et de nombreuses questions en suspend

En règle générale, un laboratoire qui veut commercialiser un nouveau médicament demande une autorisation de mise sur le marché (AMM), qu’il peut obtenir après avoir notamment effectué des essais cliniques, c’est-à-dire avoir testé le produit pour en connaitre les effets, le mécanisme d’action et les effets secondaires[10]. Si ce laboratoire souhaite que son médicament soit remboursé, il se tourne ensuite vers la Haute Autorité de Santé (HAS), qui évalue le Service Médical Rendu (SMR) du produit pour en fixer le taux de remboursement[11]. Lorsqu’il est délivré en en officine, le médicament est remboursé par la sécurité sociale en fonction du taux fixé (et le reste dépend de la mutuelle du patient, s’il en a une). Lors d’une hospitalisation, le coût du médicament est inclus dans le forfait hospitalier.

Dans le cas du cannabis thérapeutique, on ne sait, pour l’heure, pas du tout si cette procédure « classique » sera applicable. Comment en effet concilier la procédure « collective » d’expérimentation non clinique menée par l’ANSM et les évaluations classiques opérées sur les dossiers individuels de médicaments ?

Le cannabis thérapeutique et ses différentes formes bénéficieront-t-il ipso facto d’une autorisation de mise sur le marché s’ils respectent certaines spécifications décidées par l’ANSM, comme une plante médicinale ou une préparation magistrale ? Ou devront-ils se soumettre ensuite à des études cliniques, présenter des dossiers de demande d’AMM (et dans ce cas de quel type ?), quitte à ne permettre dans ce cas l’introduction de ce nouveau médicament que dans plusieurs années ? Les réponses à ces questions dépendent du statut qui sera choisi pour le cannabis thérapeutique.

Il fait peu de doute que, s’il est autorisé, le cannabis thérapeutique sera au sens juridique et réglementaire du terme, un médicament. Toutefois, ce statut comprend diverses catégories dont aucune ne semble adaptée au produit, et plus précisément aux différentes formes envisagées pour ce médicament[12].

Aussi, le peu d’élément actuellement disponible sur le (possible) futur statut du cannabis thérapeutique constitue une difficulté majeure pour les acteurs économiques du secteur. Sans visibilité, les projets d’investissement se font sur la base de projections totalement incertaines.

La compétition avec le marché noir

Le Canada a légalisé le cannabis récréatif en octobre 2018, avec un résultat mitigé. Au bout d’un an, 60% à 70% des achats de cannabis se faisaient toujours de manière illégale[13]. Pourquoi ? En raison du prix du cannabis légal, trop élevé. Le prix moyen du gramme de cannabis légal en 2019 était en effet de 10,23 CAN$, pour 5,59 CAN$ sur le marché noir.

En France, l’on sait que nombre de patients se fournissent actuellement en cannabis via le marché noir. Les associations de patients l’ont amplement expliqué lors des auditions menées tant par l’ANSM que par la mission parlementaire sur les usages du cannabis.

Que le cannabis soit ou non thérapeutique, la question du prix auquel celui-ci peut être vendu, une fois légalisé, dépend de la valeur que lui donne le patient-consommateur. Le prix qu’il est susceptible de payer (pour la part non remboursée dans le cas du cannabis thérapeutique) pour le produit dépend de l’avantage qu’il pense en retirer, que ce soit en termes de tranquillité, de garanties, de qualité ou tout autre spécificité du produit. A défaut d’un coût final adapté, le patient-consommateur continuera à se fournir auprès de circuits illégaux, à l’instar des consommateurs des pays ayant franchi le pas plus tôt.

C’est également vrai à l’autre bout de la chaine de valeur. La santé financière du secteur et la qualité des produits est tributaire de l’adéquation du prix que les différents acteurs du cannabis pourront en obtenir. Si les charges financières des producteurs ou des distributeurs sont trop élevées au regard du prix obtenu, il va de soi que la disponibilité des produits risque d’être compromise.

Or, tout investissement doit être anticipé. Là encore, une information claire est primordiale pour que les entreprises souhaitant fournir le marché français puissent évaluer l’adéquation de leurs investissements avec le rendement envisagé du projet. Ainsi, en parallèle des réflexions relatives à la sécurité médicale du cannabis thérapeutique, des informations devraient être données (ou des possibilités avancées) pour que le secteur puisse se préparer. Si les projets gouvernementaux sont à l'arrêt pour cause de Covid, la période actuelle peut également être une opportunité pour l'ensemble des décideurs pour avancer sur certaines questions de fond avec les acteurs de la (future) filière, et préparer au mieux "l'après".



[2] the Adult Use of Marijuana Act ou AUMA

[3] The Medical and Adult Use of Cannabis Regulation and Safety Act ou MAUCRSA

[5] Ou perçus comme tels

[6] Le projet français d’expérimentation du cannabis médical en situation réelle porté par l’ANSM prévoit que le cannabis soit prescrit par des médecins spécialement formés uniquement et délivré par des pharmaciens ayant également reçu une formation, donc hors circuit illégal, la question de l’automédication ne se poserait pas.  

[7] Ou projetait, avant le COVID19. Actuellement le projet de l’ANSM est à l’arrêt, tout comme la mission parlementaire sur les usages du cannabis https://www.newsweed.fr/reformes-francaises-cannabis-arret/?mc_cid=2f76db13db&mc_eid=77842f806b

[10] Les essais cliniques portant sur les médicaments ont pour objectif, selon le cas, d'établir ou de vérifier certaines données pharmacocinétiques (modalités de l'absorption, de la distribution, du métabolisme et de l'excrétion du médicament), pharmacodynamiques (mécanisme d'action du médicament notamment) et thérapeutiques (efficacité et tolérance) d'un nouveau médicament ou d'une nouvelle façon d'utiliser un traitement connu. https://www.ansm.sante.fr/afssaps/Activites/Essais-cliniques/Qu-est-ce-qu-un-essai-clinique/(offset)/4

[11] Il négocie ensuite le prix de vente du fabricant avec le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) sur la base du niveau d’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR), également fixé par l’HAS. En cas de désaccord entre le titulaire de l’AMM et le CEPS, le CEPS peut le fixer ce prix de façon unilatérale. Le prix de vente au public correspond à ce prix fabricant auquel on ajoute les marges grossistes et pharmaciens.

[12] Ce point sera abordé dans un article ultérieur.

7 juin 2017

La mélatonine à dormir debout

La mélatonine est une hormone, dont le statut énerve autant que les effets apaisent. Tantôt médicament, tantôt composant alimentaire, autorisé dans un pays et interdit dans un autre, son statut en France relève d’une véritable saga.

En France, la mélatonine a d’abord été classée sur la liste I des substances vénéneuses susceptibles de présenter un danger pour la santé[1], c’est-à-dire sur la liste des substances, préparations, médicaments et produits présentant les risques les plus élevés pour la santé. Elle en a ensuite été déclassée en liste II en septembre 2011[2]. Le Conseil d’Etat[3] avait en effet jugé trop faibles les arguments avancés par le ministère concerné pour justifier l’inscription de la mélatonine en liste I.

En raison de ce classement sur liste I ou II, la mélatonine devait, à l’époque, faire obligatoirement l’objet d’une prescription médicale pour pouvoir être délivrée en France.

Sur le front Européen, l’agence européenne du médicament avait, en 2007, autorisé la mise sur le marché d’un médicament, le « Circadin-Mélatonine[4]® », vendu sous forme de comprimés dosés à 2mg de mélatonine[5]. La mélatonine relevait donc du pharmaceutique.

Quatre ans plus tard, l’EFSA[6] publiait un rapport sur la mélatonine et les allégations santé qu’on pouvait en faire[7], estimant qu’il y avait un lien de cause à effet entre l’ingestion de ce composant alimentaire et la réduction de la durée de l’endormissement. C’est ainsi qu’en 2011, deux allégations de santé relatives à cette substance étaient inscrites au registre des allégations de santé[8] de l’Union. Elles autorisaient l’imputation à la mélatonine d’effets sur le décalage horaire et sur la réduction du temps d’endormissement à partir de 0,5 mg et 1 mg respectivement. Sans que la chose soit très claire, la mélatonine pouvait donc – selon la règle de droit européen applicable - être classée comme médicament ou comme ingrédient alimentaire.

Ainsi au moment où, elle faisait de facto - au niveau européen- l’objet d’un classement en tant qu’ingrédient alimentaire, la mélatonine faisait en France l’objet d’une inscription sur la liste II des substances vénéneuses, relevant du statut pharmaceutique.

Des industriels ont donc voulu mettre sur le marché français des compléments alimentaires contenant de la mélatonine. Il semble que ce soit à cette époque[9] que la DGCCRF ait autorisé la mélatonine comme ingrédient dans les compléments alimentaires et permis l’usage des allégations ci-dessus pour des produits dont la quantité journalière recommandée était supérieure à 0,5 mg mais inférieure à 2 mg, dose qui était considérée comme conférer le statut de médicament par composition au produit.

A partir de ce dosage, le produit était considéré comme un médicament. C’est ainsi qu’en 2012, la Cour Administrative d’Appel de Nantes refusait d’annuler le refus d’autorisation d’un complément alimentaire dosé à 5 mg de mélatonine[10]. En 2014, à Marseille, la Cour Administrative d’Appel[11] refusait d’annuler l’interdiction faite à un autre industriel de commercialiser un complément alimentaire dosé de 2,5 à 5 mg par jour.

En 2014, l’occasion était donnée au Conseil d’Etat de se prononcer une seconde fois sur la mélatonine, par des industriels lui demandant d’annuler son classement sur liste II[12]. Cette fois, le Conseil d’Etat a considéré que la mélatonine pouvait être considérée ou non comme un médicament, en fonction du dosage concerné. En dessous de cette dose, le fait qu’il soit possible d’exonérer la mélatonine des obligations de prescription médicale satisfaisait aux grands principes combinés de protection de la santé publique et de liberté de circulation des marchandises.

En effet, le Conseil d’Etat relevait que la mélatonine ne pouvait être regardée de manière générale comme un médicament sans considération de la dose absorbée, la dose « médicamenteuse » relevée par le ministère de la santé étant 2 mg. En dessous de cette dose, si la mélatonine ne pouvait être considérée comme un médicament, elle pouvait toutefois être regardée comme une substance présentant pour la santé des risques directs et indirects. Le C.E. a relevé que si la libre circulation des marchandises pouvait être restreinte pour des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes, cette restriction devait satisfaire le principe de proportionnalité. Le ministre de la santé pouvant exonérer une substance des obligations qu’implique cette inscription en liste II, si elle est présente à des doses ou concentrations très faibles ou utilisée pendant une durée de traitement très brève, le principe de proportionnalité était respecté et l’inscription sur liste II, conforme[13].

Pour clarifier les choses, un texte est venu fixer officiellement en septembre 2015 la dose maximale à laquelle un produit contenant de la mélatonine pouvait être commercialisé sans être soumis à la réglementation pharmaceutique[14] [15]. On aurait pu croire le statut de cette hormone fixé une fois pour toute.

Or, ce texte fixant la dose exonératoire à 1 mg maximum par unité de prise, on s’est trouvé dans la situation étrange dans laquelle la dose maximale exonératoire était la dose minimale nécessaire pour pouvoir justifier la réduction du temps d’endormissement, au regard du droit alimentaire européen.  Surtout, le texte adopté allait à l’encontre de la pratique visant à fixer à 2 mg la dose médicamenteuse de la mélatonine.

Des industriels ont donc à nouveau saisi le Conseil d’Etat pour contester le niveau cette dose exonératoire et demander l’annulation de l’arrêté du 8 septembre 2015 prévoyant l’exonération de la mélatonine de la réglementation des substances vénéneuses en dessous de 1 mg par dose.

Le Conseil d’Etat a fait droit à cette demande, et annulé l’arrêté[16].

S’il l’a fait, c’est essentiellement pour des raisons procédurales : selon la décision du Conseil, l’Etat français aurait dû communiquer à la Commission Européenne le projet d’arrêté et les raisons pour lesquelles son établissement était nécessaire, ce qu’il n’a pas fait. L’Etat est donc sanctionné. Toutefois l’on comprend de la décision qu’il aurait dû le faire parce qu’il a choisi de fixer la limite d’exonération à 1 mg, et non à 2 mg : l’arrêté est annulé en tant qu’il n’a pas fixé à 2 mg le seuil en deçà duquel les produits contenant de la mélatonine sont dispensés de l’application des dispositions des articles R 5132- 1 à R 5132-26. S’il avait fixé à 2 mg ce seuil, l’Etat n’aurait pas eu à faire cette communication à la commission et le texte n’aurait pas été invalidé.

On ne comprend pas bien, en lisant la décision, d’où sortent ces 2 mg. A priori, le Conseil d’Etat reprend cette limite « médicamenteuse » admise dans l’Union et par la DGCCRF, pour le médicament. On aurait apprécié que les considérants soient plus explicites, notamment au regard des incidences pratiques de cette décision.

En effet, à sa suite, les opérateurs sont dans le flou. Certains pharmaciens décident de ne plus vendre de compléments alimentaires contenant de la mélatonine, d’autres font comme si rien n’était. La DGCCRF semble toujours valider la dose exonératoire de 2 mg[17].

Juridiquement, quoique le Conseil d’Etat ait annulé ce texte, l’arrêté de 2011 classant la mélatonine sur la liste II est toujours en vigueur. La mélatonine devrait donc à nouveau faire l’objet d’une prescription. Toutefois, ce classement n’avait été validé par le conseil d’état en 2014 que parce que, justement, le gouvernement pouvait exonérer cette substance en dessous d’une certaine dose, des obligations découlant de cette inscription (ce qu’il avait fait en 2015, soit 5 ans plus tard). Le classement ne vaut donc que si un texte vient fixer cette dose. Aussi, on peut raisonnablement penser que le prochain texte fixera à 2 mg la dose pharmaceutique, et qu’entre temps, un statut quo devrait s’appliquer.

Quoiqu’il en soit, la décision du Conseil d’Etat n’interdit pas la vente de mélatonine dans les compléments alimentaires en raison d’un danger que constituerait la dose maximale à laquelle ils étaient autorisés à la vente en France. Au contraire. Le Conseil d’Etat annule l’arrêté parce qu’il était trop restrictif et fixait à une dose presque deux fois moins importante, la dose qui aurait dû être autorisée sans visa européen.

Et à l’étranger ?

SI on peut trouver partout sur le net des compléments alimentaires dosés à bien plus de 2 mg par prise ou par DJR, plusieurs états membres sont réticents à la vente de la mélatonine dans les compléments alimentaires.

En Italie et en Espagne, la dose limite serait de 1 mg. En république Tchèque et en Grande Bretagne, la mélatonine ne serait autorisée qu’en tant que médicament. Dans ces pays également, les statuts semblent avoir évolué.

Conclusion

La réglementation alimentaire et plus spécifiquement celle portant sur les allégations de santé devait être une réglementation harmonisée permettant notamment aux opérateurs de vendre des produits alimentaires et compléments alimentaires facilement dans tout pays de l’Union. Toutefois, que ce soit pour le choix des ingrédients ou leur quantité admissible, chaque pays conserve une large autonomie et de grandes disparités subsistent. De ce fait, les industriels doivent vérifier pays par pays, si la composition de leur produit est admissible…ce qui est exactement l’inverse du résultat escompté. C’est à dormir debout.

Céline Marchand

 



[1] Arrêté du 26 mars 2009 portant classement sur les listes des substances vénéneuses

[2] Arrêté du 23 septembre 2011 portant classement de la mélatonine sur la liste II des substances vénéneuses

[3] Arrêt du 2 mars 2011 du Conseil d’Etat annulant l’arrêté du 26 mars 2009 Société Natural Distribution

[4] Circadin - RCP

[5] La decision ici.

[6] L'Autorité européenne de sécurité des aliments

[7] Scientific Opinion on the substantiation of a health claim related to melatonin publiée le 30 juin 2011

[9] Je ne me suis pas intéressée au sujet à l’époque et peu d’informations sont disponibles

[10] Cour Administrative d'Appel de Nantes, 4ème chambre, 06/07/2012, 11NT00962 ; Société Institut de recherche biologique  Laboratoires Yves Ponroy

[11]  Cour Administrative d'Appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 15/05/2014, 11MA02565

[12] Conseil d'État, 1ère / 6ème SSR, 26/02/2014, 358005 Sociétés Natural Distribution ; Arkopharma ; Institut de recherche biologique ; Noria Distribution

[13] Article R5132-2 (et R5132-44 CSP)

[14] CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 01/12/2015 En 2015, la Cour Administrative d’Appel de Versailles appliquait le taux de TVA du médicament à une préparation magistrale composée de mélatonine

[15] Arrêté du 8 septembre 2015 modifiant l'arrêté du 22 février 1990 portant exonération à la réglementation des substances vénéneuses destinées à la médecine humaine

[16] Arrêt du Conseil d’Etat n° 397644 du 31 mars 2017 Sociétés Noria, Vit’All+ et Vitamins

[17] La dose de 2 mg est indiquée sur le site gouvernemental destiné à la déclaration des compléments alimentaires comme dose pharmacologique. La DGCCRF recommande une dose journalière recommandée de 1,8 mg par jour maximum

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15 mars 2012

Un fromage appelé « analogue »

Ou comment la dénomination « fromage analogue » est illégale (et pour aller un peu plus loin que les très très nombreux autres articles sur le sujet)

 

Le contexte 

Une amie(1) m’adresse il y a quelques jours un email qui, semble-t-il, a fait quinze fois le tour de France des boites mail. Cet email reproduit l’article d’une diététicienne, Paule Neyrat. On y apprend qu’il existe un OVNI alimentaire utilisé à l’insu du consommateur dans les produits industriels, le « fromage analogue ». Madame Neyrat explique qu’il s’agit d’une invention de Cargill, un fabricant américain de produits de l’industrie agro-alimentaire implanté dans 63 pays, qui commercialise deux versions de ce « fromage » :

  • une version 2007 qui est une pâte composée de 15 % de protéines laitières, d’huile de palme et d’exhausteurs de goût
  • une version 2009 appelée « Lygomme TACH Optimum » destinée au marché européen, composée de trois amidons, de deux gélifiants, et d’arômes, nominée aux Food Ingredients Excellence Awards 2009, catégorie « Innovation de l’année pour la Laiterie ».

Elle ajoute que la Commission Européenne a autorisé l’emploi de ce «fromage analogue» à condition que les ingrédients qui le composent soient indiqués sur l’étiquette, mais que personne ne regardera ces minuscules caractères ou comprendre que le galactomannane et le carraghénane, c’est le fromage.

Un petit tour sur le web m’apprend que des centaines de blogs et sites en tout genre ont repris cet article, texto. Evidemment, cela ne me titillait aux entournures juridiques.

Aucune mention à ces produits ou à cette polémique ne figurant sur le site de Cargill France, je me suis rendue sur le site de Cargill US.

C’est quoi, le Lygomme™ ?

Effectivement, dans la partie consacrée aux ingrédients alimentaires destinés au marché européen, au proche orient et à l’Afrique, on peut trouver le Lygomme™ dans la partie « plats préparés ». Les produits de cette catégorie peuvent servir dans les sauces pour donner de la texture. 

 

Convenience Foods 

 

Brand names

 

Citritex™:

Global

 

Gelogen™:

EMEA, USA, Canada, Mexico, South America

 

Lygomme™:

EMEA, Mexico, South America

 

Protex™:

Asia

 

Vitex™:

USA, Canada

 

Main functionalities

  • Salad dressings, dips, sauces & gravies: Viscosity, emulsion stability, texture, mouthfeel, shelf life improvement.

 

Un communiqué de presse datant d’octobre 2009 figurant sur le site nous apprend que le Lygomme™ est un ingrédient qui s’utilise pour la fabrication du fromage analogue en remplacement de la caséine (une protéine du lait). C’est pourquoi il peut satisfaire les besoins des personnes qui souffrent d’intolérance au lactose (et permet à l’industrie américaine de pallier les difficultés de fourniture de la caséine qui, aux US, est essentiellement importée). Selon ce communiqué toujours, l’apparence, le goût et la texture sont supérieurs à ceux des fromages analogues obtenus à partir de protéines laitières et correspondent à ceux des fromages traditionnels à pâte dure tels que le gouda, le cheddar ou le gruyère. Cargill avait communiqué de la même façon lors de la nomination du produit aux Food Ingredients Excellence Awards 2009.

Par contre je ne vois nulle part, ni sur ce site, ni sur le site de l’EFSA, une autorisation de mise sur le marché spécifique délivrée par la Commission Européenne indiquant que le produit peut être utilisé à condition que les ingrédients qui le composent soient indiqués sur l’étiquette. Jointe par téléphone Madame Neyrat, que je remercie,  me confirme très gentiment que son article fait référence aux règles habituelles d’étiquetage qui imposent la mention de la liste d’ingrédients présents dans les produits industriels et non (comme, remarque-je, cela a été interprété par nombre de copieur-colleurs) à une autorisation spécifique délivrée par la Commission (2).

Et plus je cherche, plus je lis, partout, ce terme « fromage analogue », qui figure sur les sites internet des fabricants, les brochures, les articles, etc.

Or juridiquement, cela me chatouille toujours….En effet, le fromage a une définition juridique, aussi bien en droit français qu’en droit européen. Et cette dénomination ne peut être employée que dans des conditions précises, qui ne me semblent pas être réunies ici.

Le fromage, c’est quoi ?

En droit français, le décret du 27 avril 2007 pose dans son article 1er que :

« La dénomination "fromage " est réservée au produit fermenté ou non, affiné ou non, obtenu à partir des matières d'origine exclusivement laitière suivantes: lait, lait partiellement ou totalement écrémé, crème, matière grasse, babeurre, utilisées seules ou en mélange et coagulées en tout ou en partie avant égouttage ou après élimination partielle de la partie aqueuse. 

La teneur minimale en matière sèche du produit ainsi défini doit être de 23 grammes pour 100 grammes de fromage. »

L’article 7 précise que la dénomination " fromage " peut être utilisée pour tout mélange ou assemblage entre eux de produits définis aux articles 1 à 3 (fromages blancs et bleu), pour autant que le mélange ou l'assemblage n'incorpore pas d'autres ingrédients que ceux qui sont autorisés dans ces fromages. 

Dans l’Union, un Règlement datant de 2007 (3) dit « OCM unique » prévoit dans son annexe XII que la dénomination « fromage » est réservée aux produits laitiers, c’est-à-dire :

« les produits dérivés exclusivement du lait, étant entendu que des substances nécessaires pour leur fabrication peuvent être ajoutées, pourvu que ces substances ne soient pas utilisées en vue de remplacer, en tout ou partie, l'un quelconque des constituants du lait. »

Mais alors quid du  « fromage analogue » ?

Les fromages analogues se composent de graisses végétales, d’huile de palme, d’amidon, d’exhausteurs de goût, de protéines en poudre ainsi que d’arômes artificiels. Il peut y avoir jusqu’à 15% de protéines de lait. Il semble que la production de ce type de fromage soit jusqu’à 50% meilleur marché que la méthode traditionnelle et soit de l’ordre de quelques minutes. 

La législation réserve le terme « fromage » à des produits dérivés exclusivement du lait. 

Les pâtes constituées de graisses végétales suscitées n’étant pas dérivées exclusivement du lait, elles ne peuvent en aucun cas être désignées sous l’appellation « fromage ». 

Peut-on dire du « néo-frometon » ?

Si le terme « fromage » seul ne peut être utilisé pour désigner ces pates de graisse végétale, l’ajout d’un préfixe ou d’un suffixe indiquant, justement, qu’il ne s’agit pas de « fromage » est-il permis ?

Peut-on désigner ces produits par des vocables tels que « simili-fromage », « presque fromage » ou « fromage arrangé » ? Peut-on donc utiliser le terme « fromage analogue »?

Non.

Dès 1999, la CJCE avait jugé qu'un produit laitier, dans lequel la matière grasse du lait avait été remplacée par de la matière grasse d'origine végétale pour des raisons diététiques, ne pouvait pas être dénommé «fromage». Mais plus encore. La Cour avait jugé que :

« S'agissant de produits dérivés du lait dans lesquels un constituant naturel de celui-ci a été remplacé par une substance extrinsèque, l'utilisation d'une dénomination telle que «fromage diététique à l'huile végétale (ou fromage diététique à pâte molle contenant de l'huile végétale) pour une alimentation à base de matières grasses de substitution» n'est pas autorisée alors même que cette dénomination serait complétée par des mentions descriptives figurant sur les emballages telles que «ce fromage diététique est riche en acides gras polyinsaturés» ou «ce fromage diététique est idéal pour un régime comportant une surveillance du cholestérol».

La Cour, pour asseoir sa démonstration, avait estimé :

« qu'il n'est pas établi que l'utilisation de la dénomination «fromage» accompagnée de mentions descriptives, telles que celles en cause au principal, pour désigner des produits dont la matière grasse du lait a été complètement remplacée par de la matière grasse d'origine végétale serait susceptible d'empêcher avec certitude toute confusion dans l'esprit du consommateur quant à la composition du produit qu'il entend acquérir. En revanche, une telle utilisation serait manifestement de nature à compromettre la protection de la composition naturelle du lait et des produits laitiers".

Ainsi la Cour nous dit que les mentions descriptives accompagnant le terme « fromage » pour indiquer qu’il n’en s’agit pas ne sont pas suffisantes pour éclairer le consommateur sur la véritable nature non-fromagère du produit.

Par conséquent le terme « fromage » ne peut être employé dans des associations de mots pour désigner un produit qui n’en est pas, même si les termes associés expliquent, justement, que ce produit n’est pas laitier.

Si le terme ajouté au mot « fromage » tend, non à expliquer la nature non fromagère du produit qui n’en est pas, mais au contraire à rapprocher par association d’idée ce produit et le véritable fromage, la dénomination obtenue est a fortiori illégale. 

Le mot « analogue » signifie « similaire ». 

Un truc analogue est un truc qui est similaire, qui ressemble à, qui est équivalent. Si c’est proche, me direz-vous, ce n’est pas pareil. Donc c’est différent. Mais de combien ? Analogue signifie-t-il pareil mais avec des différences ou différent avec des ressemblances ? Ceci prête à confusion.

D’autant plus que le terme analogue n’est pas forcément tous les jours employé par le consommateur moyen pour ce qui se rapporte à la nourriture. Ce changement de contexte lexical peut également amener le consommateur à penser qu’il a un sens différent.

Par conséquent l’expression « fromage analogue » prête à confusion. Elle est susceptible d’induire le consommateur en erreur sur ce qu’elle désigne.

Ceci dit, pas besoin d’une démonstration juridique pour l’établir : il suffit de voir le tollé suscité par l'article de Madame Neyrat et de compter le nombre d’articles parus sur le sujet dans lesquels les auteurs estiment s’être fait berner en apprenant que ce type de produit existait. 

Enduire en erreur (une tartine de fromage)

Le droit français comme le droit européen dans son Règlement 1169/2011 interdisent d’induire le consommateur en erreur par les informations données sur les denrées alimentaires. 

En droit français l’article L. 121-1 du Code de la consommation vise les pratiques commerciales trompeuses et l’article R. 112-7, l’étiquetage et les modalités d’étiquetage :

Article R112-7

L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et notamment sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention. (…)

Les interdictions ou restrictions prévues ci-dessus s'appliquent également à la publicité et à la présentation des denrées alimentaires, notamment à la forme ou à l'aspect donné à celle-ci ou à leur emballage, au matériau d'emballage utilisé, à la manière dont elles sont disposées ainsi qu'à l'environnement dans lequel elles sont exposées.

Compte tenu de ces dispositions, non seulement le « fromage analogue » ne devrait pas être désigné sous ce terme, qui est illégal, mais encore il est bien évidemment interdit d’en faire ingérer le consommateur à son insu.

Le droit européen est encore plus clair sur le sujet. Le règlement 1169/2011 précise dans son article 7 que :

Les informations sur les denrées alimentaires n’induisent pas en erreur, notamment:

a) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et, notamment, sur la nature, l’identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, le pays d’origine ou le lieu de provenance, le mode de fabrication ou d’obtention de cette denrée;

b) en attribuant à la denrée alimentaire des effets ou qualités qu’elle ne possède pas;

c) en suggérant que la denrée possède des caractéristiques particulières, alors que toutes les denrées alimentaires similaires possèdent ces mêmes caractéristiques, notamment en insistant particulièrement sur la présence ou l’absence de certains ingrédients et/ou nutriments;

d) en suggérant au consommateur, au moyen de l’apparence, de la description ou d’une représentation graphique, la présence d’une denrée ou d’un ingrédient déterminé alors qu’il s’agit en fait d’une denrée dans laquelle un composant présent naturellement ou un ingrédient normalement utilisé dans cette denrée alimentaire a été remplacé par un composant ou un ingrédient différent.

Le règlement est sans équivoque : il est interdit de faire croire au consommateur qu’un produit est du fromage alors que le composant naturel du fromage, à savoir  le lait, a été remplacé par un composant végétal (4).

Il n’est donc pas autorisé, sur la base de cette législation, d’employer le terme « fromage analogue » ou de faire croire au consommateur, par un packaging subtil, que cette pâte végétale est du fromage.

Il est de la responsabilité des fabricants d’écarter tout doute quant à la nature et la composition de son produit. A défaut, il peut être poursuivi. L’appréciation du caractère trompeur (et donc de nature à modifier le comportement du consommateur), s’apprécie par rapport à une personne «normalement informée» et «raisonnablement attentive et avisée» (5).

La Commission Européenne le dit aussi !

J’aurais pu commencer par cela, mais cela aurait été trop simple ;)

La question ne se pose pas qu’en France, et elle ne date pas d’hier. En 2009, elle avait déjà été posée à la Commission européenne par Christa Klaß, une eurodéputée allemande.

Celle-ci s’était émue de ce qu’un fromage artificiel était en train de conquérir le marché des denrées alimentaires. Le produit, désigné sous le terme « fromage analogue » était, expliquait-elle, de plus en plus utilisé dans les produits finis tels que pizza et lasagne. Fabriqué à partir d’huile de palme, d’amidon, de protéines du lait, de sel et d’exhausteurs de goût, l’image sur l’emballage suggérait toutefois au consommateur que du fromage avait été utilisé.

Elle demanda donc à la Commission si elle partageait l’avis selon lequel « on induit en erreur le consommateur lorsque la représentation publicitaire suggère qu’il s’agit de «fromage», alors qu’il n’a pas été utilisé de fromage » et demandait si « un marquage obligatoire en cas d’utilisation de «fromage analogue» ne devrait-il pas être mis en place? ». 

Comme on peut s’y attendre au terme de ces (longs !) développements, la Commission a répondu que :

  • La législation communautaire limite l’utilisation de la désignation «fromage» aux produits qui sont fabriqués à partir de lait et de produits laitiers et où les ingrédients laitiers ne sont pas remplacés par des ingrédients généralement moins chers d’origine différente. Si tel est le cas, la désignation du produit ne peut être «fromage» ni «fromage analogue», car cette désignation serait une utilisation abusive de la désignation protégée.
  • La législation communautaire est claire quand elle dispose que les produits qui ne figurent pas sur la liste des désignations protégées pour les produits laitiers ne peuvent utiliser dans leurs étiquettes, documents commerciaux, matériels publicitaires ou toute forme de publicité et de réclame ou toute forme de présentation, aucune allégation ou suggestion que le produit est un produit laitier.
  • Les États membres doivent veiller à l’application de la législation communautaire et sont responsables des contrôles.

En conclusion, appeler un produit « fromage analogue » est illicite.

(D’ailleurs je ne trouve pas sur le net d’étiquette mentionnant EN FRANÇAIS la présence de fromage analogue. Pouvez-vous m’en communiquer ?) 

Quoiqu’il en soit, si cela se fait, c’est parce que les états ont d’autres chats à fouetter que de faire la loi dans la fromagerie analogue. 

C’est connu, quand le chat est parti, les souris, qui aiment le fromage, dansent !

Céline Marchand

 

  1. Dédicace spéciale à Anne-Marie
  2. Mais il doit y avoir une autorisation de mise sur le marché du produit quelque part. Je suis preneuse si vous avez les références.
  3. Règlement (CE) No 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement «OCM unique»)
  4. Le règlement 1169/2011 entrera en vigueur le 13 décembre 2014. Toutefois la législation actuelle permet d’atteindre le même objectif sur le sujet, voir article 2 de la Directive 2000/13/CE
  5. Selon l’article L. 120-1 alinéa 1 du code de la consommation

 

10 mars 2012

Un pavé (de bœuf) dans la mare

Ou comment l’Europe a failli légiférer sur l’abattage rituel et sa traçabilité (mais elle ne savait pas que cela allait faire chez nous un tel débat !)

« On ment aux Français sur le halal » répète Marine Le Pen. On nous met dans l’assiette de la viande abattue rituellement sans nous le dire, nous dit-on.

Le sujet est si polémique, si chaud, que le 22 février 2011 l’interprofessionnelle de la viande (INTERBEV) annonçait sa décision d’anticiper la mise en application du décret du 28 décembre 2011 qui encadre de manière stricte l’adéquation entre l’abattage rituel des animaux et les commandes commerciales le justifiant.

Fixant les conditions que doivent remplir les abattoirs pour être autorisés à effectuer des opérations d’abattage sans étourdissement ainsi que les modalités d’obtention de cette autorisation, ce décret (1) devait entrer en vigueur le 1er juillet 2012.

Face à la folie s’emparant du sujet, le Ministre de l’agriculture a annoncé il y a deux jours que le décret entrait en vigueur de façon anticipée ce 8 mars.

L’Europe a failli rendre l’étiquetage des animaux abattus rituellement obligatoire !

Aussi me suis-je beaucoup amusée en me rappelant que les autorités européennes, lors de l’élaboration du Règlement n°1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (règlement sur les nouvelles règles d’étiquetage) avaient songé à réglementer le sujet.

La Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) du parlement européen avait en effet apporté un certain nombre d’amendements à la proposition initiale de règlement présentée par la Commission.

Parmi celles-ci figuraient la proposition d’ajouter à la liste des denrées alimentaire dont l’étiquetage doit comporter une ou des mentions obligatoires complémentaires (2) la catégorie suivante :

Viande ou produits de viande provenant d'animaux non étourdis avant l'abattage, c'est-à-dire abattus rituellement.

Qui aurait comporté la mention : "Viande provenant d'animaux abattus sans étourdissement"

Selon le projet de rapport de la Commission ENVI :

« La législation de l'Union européenne autorise que des animaux soient abattus sans étourdissement préalable pour répondre aux exigences alimentaires de certaines communautés religieuses. Une partie de cette viande n'est pas vendue à des musulmans ou à des juifs mais elle est placée sur le marché normal et peut par conséquent être achetée à leur insu par des consommateurs qui ne souhaitent pas acheter de la viande provenant d'animaux qui n'ont pas été étourdis. Il n'empêche que les membres de certaines communautés religieuses souhaitent justement pouvoir disposer d'une viande provenant d'animaux abattus rituellement. De ce fait, les consommateurs devraient être informés que certaines catégories de viande proviennent d'animaux qui n'ont pas été étourdis. Une telle disposition leur permettrait de faire, en connaissance de cause, un choix conforme à leurs préoccupations éthiques.» (3)

Mais l’amendement n’est pas passé.

Selon le communiqué de presse de l’époque :

Les députés n'ont pas insisté pour que la viande provenant d'animaux abattus sans étourdissement (conformément à certaines pratiques religieuses) soit étiquetée en tant que telle, mais ont estimé que la question devrait être examinée dans le cadre des prochains débats sur la stratégie de protection des animaux.

OK. Les eurodéputés ont d’autres animaux à fouetter que celles sur lesquelles s’étripent les candidats à la présidentielle française. Mais s’ils avaient mis cette législation avant les bœufs, la question eût été réglée (3) sans couteaux tirés !

 

Céline Marchand

 

  1. Décret no 2011-2006 du 28 décembre 2011
  2. Annexe III
  3. Note aux personnes susceptibles de commenter ces lignes. Je ne souhaite ABSOLUMENT pas entrer dans ce débat-là. Ceci est un article en clin d’œil juridique
  4. Entrée en vigueur du règlement étiquetage le 13 décembre 2014

 

 

 

9 mars 2012

Une législation complétement (PAR)NUTS !

Petit point à date concernant la révision de la directive sur les aliments diététiques.

Les aliments diététiques sont des denrées destinées à une alimentation particulière qui se distinguent des aliments ordinaires et qui sont spécialement fabriqués pour répondre aux besoins nutritionnels particuliers de catégories spécifiques de la population (1). Ce sont donc des aliments différents de ceux utilisés pour la consommation normale comme les aliments pour personnes intolérantes au gluten (les personnes atteintes de la maladie de cœliaque), les aliments destinés à être utilisés dans le cadre de régimes hypocaloriques (les substituts de repas), les aliments pour nourrissons (on n’en mange pas tous les jours), les aliments destinés à des fins médicales spéciales (aliments qui ne peuvent être utilisés que sous surveillance médicale pour des personnes dont les capacités d’absorption des aliments ordinaires sont perturbées). 

Les aliments diététiques font depuis une trentaine d’années l’objet d’une réglementation européenne dont la dernière modification date de 2009 (1). Il s’agit d’une Directive, ce qui signifie qu’elle donne aux Etats des objectifs à atteindre tout en leur laissant le choix quant aux moyens d'y parvenir.

Shopping législatif

Or les Etats membres n’ont pas tous la même interprétation du texte et des divergences sont nées dans sa mise en œuvre dans les différents pays de l’union.

Par ailleurs l’Union a, ces dernières années, adopté un ensemble de textes sur des sujets voisins (compléments alimentaires, adjonction de vitamines, allégations nutritionnelles et de santé (2) qui peuvent faire double emploi avec  la Directive PARNUT, au point que, selon la Commission, certaines entreprises font du « shopping législatif » et, malgré les contraintes administratives importantes liées à son application (3), utilisent la législation sur les aliments diététiques pour contourner la législation européenne en matière d’allégations nutritionnelles et de santé, qui est plus stricte (et encore incomplète).

Enfin le consommateur ne s’y retrouve plus (4). Celui-ci (comme les autorités de contrôle) a bien du mal à faire la distinction entre les aliments destinés à la consommation courante et les aliments destinés à des groupes spécifiques : barres protéinées favorisant la prise de masse musculaire chez les sportifs, compléments alimentaires pour les femmes enceintes, aliments enrichis en calcium et en vitamine D adaptés aux personnes âgées, produits amaigrissants, etc. 

La fin des aliments diététiques

Du coup la Commission a entrepris une refonte de la législation sur les aliments diététiques et, en juin 2011, proposé au parlement européen un texte de Règlement (législation harmonisée dans tous les états membres) qui abolit le concept d’aliment diététique et ne réglemente plus que les aliments destinés aux nourrissons et aux enfants en bas âge, et les aliments destinés à des fins médicales spéciales. Ce texte prévoit également la mise en place d’une liste unique des vitamines, minéraux et autres substances qui peuvent y être ajoutés.

Le 29 février 2012 la Commission ENVI du Parlement Européen (5) a adopté à l’unanimité le rapport de l’euro-députée Frédériques Ries et ainsi considérablement modifié la proposition initiale de la Commission.

Selon le communiqué de presse, il a recommandé que les nouvelles règles couvrent également les aliments utilisés dans les régimes hypocaloriques (basses et très basses calories) et les aliments destinés aux personnes intolérantes au gluten.

Plus précisément le nouveau règlement devrait concerner les repas de substitution  destinés à remplacer tout ou partie de l'alimentation journalière d'une personne (6) ou qui sont destinés aux régimes stricts pour les personnes obèses. Il s'agit des produits utilisés dans les "régimes basses calories" (800-1200 calories par jour) et les "régimes très basses calories" (400-800 calories).

La Commission distingue ces produits des produits de régime destinés au grand public dont la communication devrait être régie par le règlement 1924/2006 sur les allégations nutritionnelles et de santé.

Concernant les aliments destinés aux personnes intolérantes au gluten, la Commission a estimé qu’ils ne devraient pouvoir porter la mention « très faible teneur en gluten » que s’ils contenaient mois de 100 mg de gluten par kilo et la mention « sans gluten » que s’ils contenaient moins de 20 mg de gluten par kilo.

La commission a également proposé :

  • que l’étiquetage des préparations à base de lait pour bébé de moins de 12 mois ne comporte plus de représentation de nourrisson ou aucune image de nature à « idéaliser l’utilisation » de ce type de produit,
  • que la commission revoit la réglementation applicable au « lait de croissance » (pour enfants de 12 à 36 mois), et enfin
  • qu’elle prépare une étude visant à remédier à l’absence de réglementation concernant l’intolérance au lactose. 

La commission a également demandé à ce que les producteurs restent soumis à une procédure de notification de sorte que les autorités puissent effectuer des contrôles après la mise sur le marché.

Le texte du vote définitif n’est pas encore publié. Mais le projet de rapport précisait que la règle devait rester (pour les produits restant concernés par le texte) une autorisation de mise sur le marché au niveau national.

Et les pesticides ?

Le communiqué ne mentionne pas un point important du projet de rapport : la demande d’interdiction des pesticides dans les aliments destinés aux nouveaux nés et jeunes enfants. Je suppose que ce point a été adopté, compte tenu de l’unanimité du vote, mais j’attends avec impatience le texte complet.

Les propositions de la Commission ENVI doivent être soumises au Parlement lors de sa session des 21/24 Mai. Le texte doit ensuite passer par la Commission européenne et par le Conseil avant une adoption finale.

Du temps pour s’y faire…

Selon le projet de texte, les mesures prises entreront en vigueur après un délai de deux ans, et les produits non confirmes qui auront été étiquetés avant cette date pourront être commercialisés jusqu’à épuisement des stocks. Les fabricants ont donc encore du temps avant son entrée en vigueur. Toutefois les fabricants dont les produits pourraient sortir du champ des produits diététiques ont tout intérêt à anticiper ce changement en se penchant dès maintenant sur les règles de composition et d’étiquetage qui seraient susceptibles de s’appliquer à eux.

Sur ce point la Commission européenne a présenté le 30 janvier à la même Commission ENVI la liste des allégations de santé génériques (article 13.1 du règlement 1924/2006) ayant reçu l’approbation (222 allégations) ou la désapprobation  (2000 allégations) de l’EFSA. …La majorité des 70 députés de la Commission a déposé une objection formelle à cette liste. Il est donc fort probable que le Parlement suive cette ligne de conduite.

A ce titre la lecture du document de plaidoyer contre l’approbation de la liste émanant de l’Alliance for Natural Health est intéressante à plus d’un titre. J’y reviendrai dans un post ultérieur.

En conclusion, rien n’est simple. La refonte actuelle des textes européens concernant les aliments, leur composition, leur étiquetage et leur publicité a de quoi en dérouter plus d’un. Tout ceci débouchera peut-être sur quelque chose de clair et d’efficace, et l’ensemble de la démarche est louable, mais en attendant l’issue du processus (long, très long), on pourrait presque penser que la législation est devenue complément (par)nuts (7) !

Céline Marchand

 

  1. Directive 2009/39/EC,  dite « Directive-cadre relative aux aliments diététiques » ou Directive PARNUTS.
  2. Compléments alimentaires : Directive 2002/46/CE ; Adjonction de vitamines, de minéraux et d’autres substances aux denrées alimentaires : Règlement (CE) n° 1925/2006 et Allégations nutritionnelles et de santé : Règlement (CE) n° 1924/2006
  3. Une entreprise souhaitant commercialiser un produit en tant qu’aliment diététique doit le notifier dans chacun des Etats dans lesquels elle entend le distribuer. La procédure n’est pas centralisée pour toute l’Union.
  4. Projet de rapport de la Commission ENVI du 30.11.2011
  5. Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI)
  6. Substituts de repas et les substituts de la ration journalière totale d’une personne
  7. Nuts : fou/folle en anglais. Le pun était trop tentant !

 

 

 


4 mars 2012

Pour un environnement allégo-friendly

Conseil National de la Consommation (CNC) a récemment mis à jour son « guide pratique des allégations environnementales sur les produits » qui définit les conditions d’emploi des 15 allégations environnementales les plus fréquemment utilisées sur les produits. Les entreprises qui utilisent ce type d’allégation ne pourront plus rétorquer (au juge, à la DGCCRF) qu’elles ne sont pas Responsables !

Responsable, Durable, Eco, Renouvelable, Naturel…les allégations environnementales sont des termes ou expressions utilisés pour mettre en avant la qualité d’un produit ou la démarche d’une entreprise au regard de la protection de l’environnement. Arguments de vente efficaces en ces temps de conscientisation écologique, ce type d’allégation a fleuri sur les packagings et dans les campagnes de communication de nombreux produits. Parfois sans véritable fondement. Pour éviter (limiter) le greenwashing (1), ce guide du bon usage de l’allégation environnementale rappelle aux producteurs et aux communicants, illustrations à l’appui, que la communication doit être loyale et ne pas reposer sur des indications fausses ou de nature à induire le consommateur en erreur. 

Il ne s’agit pas là d’une nouvelle réglementation ou une nouvelle norme. Ce document n’a pas de valeur juridique en tant que tel, et les textes actuels comportent les dispositions nécessaires pour sanctionner les abus en la matière. Ce document est plutôt un outil destiné à prévenir les professionnels des éléments sur la base desquels la légalité de leur communication sera évaluée, et à servir de feuille de route pour les magistrats et la DGCCRF.

Le respect des dispositions de ce guide constituent une présomption d’utilisation loyale (légale) d’une allégation environnementale. Leur non-respect « une plus forte présomption de non-conformité ». En pratique, ce sera une présomption de non-conformité tout court.

« Ca va sans le dire, mais cela va mieux en le disant » 

On pourrait résumer ce guide ainsi : une allégation environnementale doit être loyale, précise et explicite. C’est là le droit commun. Mais de nombreux débats peuvent naitre de l’interprétation de ces termes. Etre précis, oui mais à quel point ? Etre explicite : de quelle manière ? En illustrant ces adjectifs d’exemples concrets, ce guide rendra la méprise difficile à soutenir.  

A la volée, quelques exemples tirés du guide :

  • Lorsqu’un professionnel met en avant des caractéristiques qui sont imposées par la réglementation, et/ou qui sont donc communes à tous les produits de la même catégorie, il peut induire le consommateur en erreur en lui laissant croire que le produit présente des caractéristiques distinctes des produits similaires. Ces caractéristiques ne doivent donc pas constituer l’argument de vente principal mais apporter une information complémentaire. Elles doivent le cas échéant être accompagnées de la mention « conformément à la réglementation en vigueur ».

* Par exemple toutes les bouteilles d’eau en plastique sont recyclables. C’est une caractéristique commune : ce terme « recyclable » ne doit donc être utilisé que pour donner une consigne de tri au consommateur, et non pour valoriser le produit.

* Le cuir est par nature une matière première d’origine renouvelable. Présenter une chaussure comme composée de « cuir renouvelable » alors que par définition c’est le cas de toute chaussure en cuir ne répond pas à l’obligation de loyauté prescrite par la loi.

* « sans substance X » : cette expression ne doit pas être employée lorsque ladite substance n’est plus ou n’a jamais été utilisée dans la famille de produits concernés (« sans mercure » pour un détergent) ou si elle est interdite par la réglementation pour la famille de produits concernés (« sans phosphates » pour une lessive.

  • Par ailleurs le développement durable est un concept qui implique un engagement d’une organisation sur les trois piliers (respect de l’environnement, progrès social, développement économique) qui constituent ce modèle de développement. Un produit ne peut donc pas être « développement durable ». D’ailleurs une entreprise non plus : on n’est pas développement durable. On y contribue. 

Ce guide est la traduction de deux avis du CNC relatifs à la clarification des allégations environnementales (2). Dans ces avis, le CNC, pour chacune des allégations, donne une définition, indique la perception probable que peuvent en avoir les consommateurs, en évalue la pertinence lorsque l’allégation est portée sur un produit mais surtout en donne les conditions d’emploi et énumère les justifications à apporter.

Bien qu’il s’agisse (toujours ici) d’un contrôle à postériori de l’allégation dans le cadre de l'application du droit commun, et bien que les avis du CNC n’aient pas en tant que tels de force légale,  la démarche est la même que celle utilisée par les autorités européennes et l’EFSA dans le cadre de l’évaluation a priori de la véracité des allégations de santé : un tableau (appelé registre) dans lequel les conditions d’emploi de toute allégation santé autorisée sont indiquées. 

Il s’agit d’une tendance forte visant, au choix, à encadrer l’imagination galopante des professionnels de la communication (heureusement qu'ils en ont) ou à pallier le défaut de discernement d’un consommateur noyé par le volume d’information qu’il a à traiter (ou qu'il ne traite plus, c'est selon). Peut-être verra-t-on un jour naitre un registre unique relatif à l’ensemble des allégations de toute nature qui peuvent être faite au soutien de la communication en faveur de tout type de produit et dans lequel les communicants iront piocher leurs arguments en fonction des données entrées dans la base ? 

En attendant, je termine ici ce billet recyclable, rédigé par une juriste responsable, dans le cadre d’une démarche rédactionnelle durable ;)

 

Céline Marchand

 

(1) l’emploi abusif de l’argument écologique

(2) Avis des 6 Juillet et 15 Décembre 2010.

 

1 mars 2012

Le vin obtenu à partir de raisins issus de l'agriculture biologique est mort. Vive le vin bio !

Dans quelques semaines un nouveau règlement (1) européen permettra aux producteurs de vin biologique d’utiliser les termes «vin biologique» sur leurs étiquettes.

Le vin pouvait certes déjà arborer le logo Bio. Mais ce logo signifiait que le vin était « obtenu à partir de raisins issus de l'agriculture biologique», et non de pratiques œnologiques particulières.

A partir de cette année (2), de nouvelles règles de production recensant les techniques œnologiques et les substances autorisées pour le vin biologique entreront en vigueur. Pour pouvoir porter la mention « vin biologique », le vin devra avoir été élaboré conformément à ces règles spécifiques et à partir de raisins issus de l’agriculture bio.

Mais alors, pourra-t-on voir coexister deux types de vin bio sur les étalages ? Un vin bio tout court et un vin conventionnel issu de raisins bio ? 

Oui, pendant un certain temps.

Les textes prévoient (3) que les vins produits, emballés et étiquetés conformément à l’ancienne législation (le vin obtenu à partir de raisins issus de l’agriculture biologique) avant le 31 juillet 2012 peuvent continuer à être mis sur le marché jusqu’à épuisement des stocks.

Comment reconnaitra-t-on alors un vin bio d’un vin issu de raisins bios ?

Soit en lisant la mention expresse « issu de », soit en regardant le type de logo : le vin bio pourra arborer le logo bio européen(4). Le vin issu de... ne peut utiliser que le logo bio français(5).

 

Céline Marchand

 

(1) Communiqué de presse du 8 février 2012 

(2) En principe, le règlement ayant été annoncé mais pas encore publié

(3) Règlement d’exécution (UE) N o 344/2011 de la Commission du 8 avril 2011 modifiant le règlement (CE) n° 889/2008 portant modalités d’application du règlement (CE) n °834/2007 du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l’étiquetage et les contrôles

(4) Les dispositions du règlement (CE) n°834/2007 ne s’appliquent pas aux produits non couverts par ce règlement, comme le vin. Le logo communautaire n’est donc pas autorisé pour ces produits.

(5) Agence bio : pour les vins, dans l’attente de méthodes de vinification harmonisées au niveau communautaire, la marque "AB" ne peut être utilisée qu'accompagnée de la mention claire, visible, facilement lisible et attenante : "vin issu de raisins de l'agriculture biologique" ou "vin de raisins biologiques".

29 février 2012

A votre santé (publique) !

Une décision de la Cour de Cassation vient de rappeler à la filière spiritueuse et vinicole qu’elle n’a pas le droit de faire de la publicité, mais de la communication informative…

En 2005, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) a lancé une campagne publicitaire par le biais d’affiches publicitaires. On y voyait de jeunes et souriantes personnes représentant sur un fond neutre des professionnels de la profession levant le bras en tenant un verre de vin. Sur l’une des déclinaisons de ces affiches par exemple, on pouvait voir deux trentenaires, un homme et une femme, à l’élégance sobre (si je peux me permettre) mais détendue, souriant en coin. L’accroche : les Bordeaux, des personnalités à découvrir. Rien de tapageur.

Attaqué pour publicité non-conforme à la loi Evin par l’ANPAA (1), les choses avaient pourtant bien commencé pour le CIVB. Le TGI puis la Cour d’Appel de Paris n’ayant rien trouvé à redire à cette campagne. La plus haute juridiction française l’a pourtant déclarée contraire à la loi (2).

Les premiers juges s’étaient placés sous l’angle de la finalité de la loi Evin, qui était d’interdire les publicités incitant à une consommation excessive d’alcool : ces affiches n’étant pas par elles-mêmes « de nature à inciter à une consommation abusive et excessive d'alcool », la campagne était licite.

Conformément à son habitude la Cour de Cassation a, quant à elle, préféré une lecture littérale et restrictive du texte. Dans un arrêt du 23 février 2012, elle réaffirme que la loi (3) énumère strictement les indications qui peuvent figurer sur les publicités pour l’alcool. Dès lors des affiches mettant en scène « des personnes ou des groupes de personnes souriants, jeunes, en tenue de ville, levant le bras en tenant un verre avec une impression manifeste de plaisir » et visant à « promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés » sortent du cadre permis par la loi.

A la Cour d’Appel qui expliquait que cette publicité n’encourageait pas l’ivrognerie, et que, « par essence, la publicité s’efforce de présenter le produit concerné sous un aspect favorable pour capter la clientèle et non pour l’en détourner », la Cour de Cassation répond qu’elle n’en a cure : la publicité pour les boissons alcoolisées – en l'état actuel de sa jurisprudence - ne doit pas (du tout) inciter le consommateur à absorber de l'alcool. 

Comme je le disais tantôt à la Directrice Marketing et Communication d’un groupe de spiritueux renommé (4), la lecture que fait la Haute Juridiction Française de la loi Evin aboutit à une situation pour le moins incongrue : la pub a, par définition, pour objet d’inciter le consommateur à adopter un comportement souhaité, en l’occurrence à consommer (avec modération) de l’alcool. Interdire à une publicité de faire la promotion du produit qu’elle concerne revient tout bonnement à…interdire la publicité.

L’article L. 3323-4 du code de la santé publique autorise expressément la publicité pour les boissons alcooliques. Selon celui-ci : 

-          La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à (…)

-          Cette publicité peut (…)

Le terme publicité n’est pas défini par la loi Evin.

La loi distingue publicité directe et publicité indirecte et ne précise que ce qu’elle entend par publicité indirecte : il s’agit de la publicité en faveur d’un produit autre qu’un produit alcoolique mais qui rappelle une boisson alcoolique. En somme, il s’agit d’éviter que la loi ne soit contournée et que des campagnes de publicité pour des produits autre que des alcools ne masquent des campagnes en faveurs de boissons alcooliques.  

Que signifie alors publicité (directe), au sens de la loi ?

Selon mon Petit Robert, la publicité est le caractère de ce qui est public (donner une certaine publicité à une affaire). C’est le fait de porter à la connaissance du public (publicité foncière). C’est enfin le fait d’exercer une action sur le public à des fins commerciales ; le fait de faire connaitre un produit et d’inciter à l’acquérir de même que c’est l’ensemble des moyens qui concourent à cette action (faire de la publicité pour un produit).

La Directive européenne 84/450/CEE du 10 septembre 1984 (sur la publicité trompeuse) définit la publicité comme « toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations ».

La loi Evin vise spécifiquement les producteurs, les modes d’élaboration, de consommation et de vente des produits. Elle fait référence à leur conditionnement. La loi a donc spécifiquement pour objet de réglementer la communication des professionnels du secteur. L’activité de ces professionnels n’étant pas philanthropique, ils ne peuvent investir en communication que si celle-ci leur permet un retour sur investissement (c’est un principe économique de base). La communication de professionnels ne peut donc qu’avoir un objectif promotionnel. Si la loi réglemente cette communication, cela ne peut être que conformément à sa pratique. C’est une question de bon sens.

D’ailleurs la loi autorise  « la propagande ou la publicité ». Le terme propagande comprend une notion forte d’influence d’opinion.

Enfin la loi ne vise pas la « publicité des » boissons alcooliques mais la publicité « en faveur » de celles-ci. La publicité « des » boissons alcooliques pourrait ne viser que l'information les concernant (ex : la publicité des actes, la publicité foncière). La publicité « en faveur » ne peut qu’avoir un sens promotionnel.

C’est donc bien qu’il faut comprendre le mot publicité dans son sens commun.

En utilisant ce terme précis, publicité, et en n'en donnant pas une autre définition (ce qui aurait pu être le cas et ce qui est d’ailleurs une indication supplémentaire de ce qu’il faut entendre ce terme dans son sens commun), la loi Evin autorise expressément la promotion des boissons alcooliques.

Si cette publicité est encadrée, la limitation ne concerne que sa forme  (les éléments pouvant figurer sur la publicité, son emplacement) et non sa naturequi demeure promotionnelle.

En choisissant d’interpréter cette limite d’expression comme une modification de la nature même de la publicité et par là, comme une interdiction de celle-ci, la Cour de Cassation donne au texte une portée qu’il n’a pas. 

Une lecture alternative et certainement plus conforme à son objectif serait de reconnaitre le caractère promotionnel de la publicité qui ne peut s’exprimer que dans le cadre des éléments limitativement énumérés par la loi. Comme le disait encore le TGI de Paris en janvier (5) « la publicité implique nécessairement le recours à des agences de publicité qui font preuve d’imagination créative aux fins de valoriser le produit ».

On peut ici faire le parallèle avec le régime publicitaire des aliments dont la communication repose sur des allégations santé.

Les autorités européennes ont adopté, fin 2006, un règlement concernant les allégations santé (6). Cette législation prévoit la mise en place d’un registre dans lequel sont consignées les allégations autorisées et les allégations refusées. Pour avoir  été autorisées, les allégations ont été évaluées scientifiquement. Les termes utilisés pour leur rédaction ne seront pas toujours faciles à utiliser tels quels sur un emballage. C’est pourquoi il est prévu de laisser une certaine flexibilité aux professionnels du secteur dans la rédaction de leur allégation. Ces adaptations devront bien sûr respecter le sens des allégations autorisées et garder la même signification pour les consommateurs. Certainement des litiges naitront (il en nait toujours) sur l’ampleur de l’espace de liberté rédactionnelle réservé aux professionnels. Mais la publicité alimentaire restera ce qu’elle est : de la promotion (encadrée) pour des produits, et non de la communication informative.

En matière d’alcool la situation est tout autre. Sauf à ce que la Cour de Cassation assouplisse sa position pour rejoindre celle portée par les juridictions du fonds, la publicité pour les boissons alcooliques est, en l’état actuel de la jurisprudence et contrairement à la lettre de la loi, interdite. Les professionnels de la filière ne sont autorisés, en France, qu’à faire de l'information sur leurs produits.

Remarquez, cela incite à l’export…

Céline Marchand

 

(1)   L’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA)

(2)   Arrêt n° 215 du 23 février 2012 (10-17.887) - Cour de cassation - Première chambre civile

(3)   Et plus précisément l’article L. 3323-4 du code de la santé publique

(4)   Vous aviez une robe superbe, et j'aurais aimé vous demander : de qui était-elle ?

(5)   Commentaire Me Poulet, TGI Paris, Jugement du 6 Janvier 2012 n°11/59895, « J&B so british »

(6)   Réglement 1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires

 

 

 

 

 


15 octobre 2008

Pest(icid)e soit la nouvelle réglementation !

La nouvelle réglementation européenne sur les limites maximales de résidus de pesticides (LMR) harmonise les taux maximaux admis dans tous les Etats membres. Son adoption empêche les Etats membres d’exiger sur leur territoire la fixation de limites plus strictes applicables à tous les aliments. C’est pourquoi le moment est certainement venu de se poser la question d’une agriculture utilisant peu ou pas ce type de produits.

La rrevue "Pour la Science" – à paraitre en novembre - m’a proposé de rédiger quelques lignes sur la récente harmonisation des limites maximales de résidus (LRM) de pesticides en Europe. Depuis le 1er septembre 2008, en effet, les limites maximales de résidus de pesticide qui peuvent demeurer sur et dans les aliments produits en Europe sont unifiées.

Dans ce bref point de vue j’explique en substance pourquoi il n’est pas étonnant que certaines LMR fixées par la nouvelle réglementation soient plus hautes que les LMR applicables en France jusque là. Une harmonisation fait toujours des mécontents : on n’harmonise pas par le bas, parce qu’on tient toujours compte des mauvais élèves. Sur la question des pesticides, l’harmonisation n’était donc certainement pas la meilleure des solutions.

Mais il y a encore beaucoup à dire. Je fais donc une entorse à mes vœux d’abstinence épistolaire sur ce blog pour aller plus loin sur la question.

Tout d’abord, on lit beaucoup d’articles sur cette nouvelle réglementation expliquant que les Etats pouvaient « adopter des législations plus strictes » pour s’en protéger. Ce n’est pas exact.

Impossibilité d’adopter une réglementation nationale plus stricte sur les LMR s’appliquant à tous les produits alimentaires

La nouvelle réglementation ne permet pas à un Etat membre d’adopter une législation nationale imposant, pour les produits qui y sont vendus, des LMR maximales plus basses que les nouvelles LMR européennes. Ces LMR s’appliquent dans tous les Etats membres : le principe de libre circulation des marchandises impose à tous pays d’accepter sur son territoire les aliments produits en conformité avec les nouvelles limites, même plus hautes. Ainsi, nos étals - qui regorgent de produits alimentaires produits chez nos voisins – ne pourront être protégés de l’importation d’aliments contenant des taux de résidus de pesticides supérieurs à ceux qui étaient en vigueur en France auparavant.

(Im)possibilité d’adopter une réglementation nationale plus stricte pour les produits locaux ?

D’aucuns pourraient penser à l’adoption d’une législation plus stricte…strictement réservée aux produits français. Dans ce cas, les LMR des aliments produits en France seraient plus basses que les LMR des produits émanant d’autres Etats européens. Cela signifierait qu’on impose aux producteurs français des conditions plus strictes qu’à leurs concurrents européens ? Ce serait là un bel exemple de discrimination à rebours !

Du point de vie du droit communautaire, c’est tout à fait possible : rien n'empêche qu’un Etat membre ait une réglementation nationale qui défavorise ses propres producteurs (CJCE 14 juill. 1988, aff. 407/85, Drei Glocken c/ USL Centro Sud). Les règles européennes ne sont là que pour protéger les échanges entre Etats. Elles ne se préoccupent pas des questions internes. En France, la cour de cassation a d’abord fait prévaloir les principes d’égalité et de libre concurrence pour écarter l’application de la réglementation nationale dans le cas où elle défavorisait les produits nationaux par rapport à leurs concurrents étrangers. La Cour a ainsi admis que les limitations prévues par le droit interne soient écartées dans les cas où elles seraient de nature à entraîner des restrictions discriminatoires par rapport au régime régissant les produits concurrents tant nationaux que provenant des Etats membres lorsque ces produits présentaient des caractéristiques comparables (Cass 16 juin 1983, 81-9231).

Mais il semble qu’elle ait changé d’avis. C’est ainsi qu’elle a, dans un arrêt du 3 mai 2006, précisé « que ni le droit communautaire ni le droit français n’interdisent de soumettre les produits nationaux à des exigences plus sévères que les produits d’importation, dès lors qu’il n’est pas démontré que l’application de la mesure nationale, (…) pourrait avoir des effets sur la libre circulation des marchandises entre Etats membres, notamment en favorisant la commercialisation des marchandises d’origine nationale au détriment des marchandises importées ». Cette décision ouvrirait donc la voie à l’adoption d’une législation nationale plus stricte en matière de LMR.

La réflexion en cours concerne les modalités et quantités d’utilisation des pesticides, pas les LMR

Quelques remarques toutefois : la première est que si nous l’appelons de nos vœux, une telle mesure n’aurait d’effet que sur les denrées produites en France. Et d’ailleurs, on voit mal comment, en opportunité, dans un pays où l’agriculture est extensive, une législation pourrait imposer des contraintes que nos voisins n’ont pas… On se doute du lever de bouclier qui ne manquerait pas de se produire de la part des gros agriculteurs et des industriels qui sont – il faut bien le dire – les principaux bénéficiaires de la nouvelle réglementation….

Ensuite il ne semble pas que la question d’une législation plus stricte soit à l’ordre du jour. Ce qui est en cours, suite au Grenelle de l’environnement (et même avant lui du Plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides 2006-2009), c’est une réflexion sur les pesticides autorisés et sur leur mode d’utilisation avec pour objectif une diminution de 50% de leur utilisation. Pas une réflexion sur les LMR.

A moins…à moins que le travail de sensibilisation effectué actuellement par les associations de consommateurs ou de protection de l’environnement ne porte ses fruits et que des raisons de protection de la santé publique ne viennent permettre la mise en œuvre de telles mesures pour les produits nationaux. Peut-être verrait-on alors un droit français des LMR plus strict que le droit communautaire ?

Dans ce cas, se produirait-il un engouement des consommateurs pour les produits « made in France » ? Ceux-ci pourraient-ils se mettre à préférer les produits français, les sachant moins chargés en résidus de pesticides, aux produits étrangers ? Peut-être le label « made in France » deviendrait-il synonyme de « produits plus sains » ? Mais dans ce cas, ne serions nous pas dans une situation discriminatoire vis-à-vis des denrées émanant des autres pays de l’Union, à l’instar de celle évoquée plus haut par la Cour de Cassation, puisque les la commercialisation des marchandises d’origine nationale serait en fait favorisée au détriment des marchandises importées ?…Ne nous enflammons pas.

Et si c’était l’occasion de faire sans (pesticides) ?

Pour que l’adoption de mesures plus strictes que les règles européennes ait un véritable impact, il faudrait qu’une grande partie des pays membres s’y engagent. Or, il est peu probable qu’ils se lèvent à présent contre une réglementation communautaire qui n’a bien sur pas été élaborée à leur insu…

Et s’il n’est pas possible d’empêcher la libre circulation des marchandises et des produits alimentaires conformes aux règles européennes, il est toutefois possible de sensibiliser le consommateur aux risques causés par les pesticides.

C’est d’ailleurs ce qu’envisage le règlement CE 396/2005, concernant les LMR. Celui-ci précise qu’il « serait particulièrement opportun que ces risques soient pleinement expliqués au public ». C’est pourquoi les associations de consommateurs, se préoccupant de santé ou d’environnement qui actuellement pointent du doigt les dangers des pesticides rendent un véritable service public d’éducation sanitaire.

Mais au-delà de l’effet produit par les résidus aux taux actuellement en vigueur, il semble que le véritable enjeu réside dans la détermination des effets combinés de ceux-ci (« l’effet cocktail »). Compte tenu de la difficulté apparente de les déterminer, peut-être la solution serait-elle tout simplement de promouvoir en France une agriculture sans pesticides de synthèse et respectueuse de l’environnement.

C’est d’ailleurs également ce vers quoi tend l’Union qui, selon ses communiqués, souhaite favoriser « les cultures consommant peu ou pas de pesticides ». Et si finalement cette réglementation européenne sur les pesticides était l’occasion de réfléchir à comment faire sans ?

Céline Marchand

13 juillet 2008

Du Blog à la RSE

Copie_de_logo_charteCertains m’ont demandé pourquoi j’avais suspendu mes (si intéressants) écrits…Certains m’ont même enjoint de reprendre la plume sous la menace de tortures toutes plus effrayantes les unes que les autres

Je les rassure, je serai de retour…en janvier 2009 !

Jusqu’à cette date je me consacrerai en effet, tout comme ces six derniers mois, à la RSE et plus précisément à la :

Charte_sur_la_Responsabilite_Societale_Monegasque (1).

Active au sein de la Jeune Chambre Economique de Monaco, on m’a confié la Direction de la Commission chargée de promouvoir cette Charte « Développement Durable » à destination des entreprises de la Principauté.

Or cette activité passionnante, dévorante est…chronophage. Elle est devenue pour ainsi dire un second métier !

Engagée - à titre purement bénévole - jusque décembre 2008 dans cette formidable aventure, je laisse le blog en stand-by pour mieux y revenir à l’aube de la nouvelle année. A défaut d'être transgénique, je n'ai malheureusement que quatre deux bras !

Pour plus d’informations sur la Charte RSE, une vidéo sur notre travail et surtout

un site : www.charte-rsm.org. Ce site vous dit tout sur la Charte, nos actions pour la promouvoir, les entreprises signataires...

Je vous donne donc rendez vous sur ce blog en Janvier 2009, et d’ici là, ici.

Céline Marchand

(1) La Charte sur la Responsabilité Sociétale Monégasque (Charte RSM) fédère sous son logo les entreprises Monégasques entreprenant des actions en faveur du Développement Durable. La Charte se présente sous la forme d’un mode d’emploi du développement durable en dix points, auquel peuvent adhérer les entreprises, associations et institutions de la Principauté.

6 avril 2008

Pologne : pas de loi "anti-OGM"

De quelle marge de manœuvre un Etat membre de l’Union dispose-t-il en matière de législation « anti-OGM » ? Depuis l’adoption de la réglementation européenne sur les organismes génétiquement modifiés, un certain nombre de pays ont souhaité mettre en place des restrictions à leur culture et/ou à leur mise sur le marché. Certains Etats ont opté pour l’interdiction au cas par cas d’OGM précisément identifiés. C’est le cas de la France qui a décidé l’interdiction de la mise en culture en vue de la mise sur le marché des semences de Maïs MON 810 (1) et qui a annoncé l’utilisation, à l’encontre de ce maïs, de la « clause de  sauvegarde » de l’article 23 de la directive 2001/18. D’autres Etats ont préféré l’adoption de réglementations générales interdisant les OGM sur tout ou partie de leur territoire. Si l’interdiction de certains OGM spécifiques a pu, dans certaines conditions, être mise en place (2), l’exclusion de principe des OGM d’un territoire donné n’a, pour l’instant, pas été autorisée. C’est ainsi que la Commission a refusé son aval à la Pologne qui souhaitait adopter une législation anti-OGM (3).

L’un des fondements de la réglementation européenne sur les OGM est l’interdiction faite aux Etats membres d’interdire les OGM qui sont autorisés conformément aux exigences de l’Union (Article 22 de la Directive 2001/18). Cette réglementation prévoit seulement la possibilité pour un Etat, lorsqu’il a des raisons de considérer qu’un OGM précis présente un risque pour la santé humaine ou pour l’environnement, de limiter ou d’interdire, à titre provisoire, son utilisation et/ou sa vente. Ces mesures de sauvegarde (Article 23 du même texte) doivent être justifiées par des informations nouvelles, c'est-à-dire rendues disponibles après que l’OGM a été autorisé. L’Etat doit informer la Commission de son initiative, à charge pour elle de se prononcer par la suite sur son bien-fondé.

Ainsi selon cette directive, un Etat ne peut frapper la culture des OGM d’une interdiction générale. Il peut simplement limiter à titre provisoire et au cas par cas, l’utilisation ou la vente d’un OGM sur son territoire. Or la voie de l’interdiction des OGM produit par produit n’est pas satisfaisante. Elle ne peut en tout état de cause être envisagée comme un mode de gestion adéquat de la « question OGM », surtout dans un contexte d’hostilité de l’opinion publique à ce type de culture. Cette politique implique en effet la présentation, pour chaque organisme visé, d’informations nouvelles remettant en cause l’évaluation des risques spécialement effectuée pour l’autoriser. C’est la raison pour laquelle certains Etats ou Régions comme la Pologne ont essayé d’actionner d’autres leviers afin de mettre en place une réglementation par principe « anti-OGM ».

La législation européenne sur les OGM est une réglementation harmonisée. L’article 95 § 5 du Traité CE prévoit la possibilité pour un membre qui souhaiterait adopter une législation nationale contraire à une telle réglementation d’obtenir, sous certaines conditions, l’autorisation de la Commission. Cet Etat doit démontrer que les dispositions qu’il prévoit en matière d’environnement lui sont nécessaires car il rencontre un problème qui lui est « spécifique » et qui a « surgi après l’adoption de la mesure d’harmonisation ». Il doit en outre démontrer que les mesures envisagées sont « fondées sur des preuves scientifiques nouvelles » relatives à la protection de l’environnement. Ces conditions sont cumulatives. Si elles sont satisfaites, l’Etat peut adopter sa législation dérogatoire. C’est en se fondant sur ces dispositions que la Pologne a tenté de mettre en place une législation « anti-OGM ». En vain.

I. Pour mettre en place une loi « anti OGM », il faut établir un projet de loi contraire au droit communautaire harmonisé

La Pologne avait établi un projet de loi dans lequel les OGM étaient interdits par principe, et sauf exception. Ainsi deux articles de son projet de loi (4) contrevenaient, selon cet Etat, à la Directive 2001/18 relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement.

a) Le projet polonais : interdiction des OGM par principe et culture par exception

Le premier article contraire à la législation européenne portait essentiellement sur la culture des semences OGM destinés à la mise sur le marché et à l’alimentation humaine ou animale. Il interdisait, par principe, la culture des OGM en Pologne. Il ne la permettait que par exception au sein de zones réservées dont il fallait demander la création au Ministre chargé de l’Agriculture. Celui-ci devait prendre sa décision en consultation avec le Ministre chargé de l’environnement, après avis du conseil de la municipalité où la culture était envisagée. Il devait être joint à cette demande de création de « zone désignée pour la culture des plantes génétiquement modifiées » les déclarations écrites des propriétaires des terrains voisins (plus exactement des terrains situés dans la zone d’isolement autour des terres sur lesquelles il était prévu de cultiver des OGM) indiquant qu’ils n’étaient pas opposés au projet.

Comme il a été dit plus haut, la Directive 2001/18 s’oppose à ce qu’un Etat interdise la mise sur le marché d’OGM conformes à ses exigences (article 22). Le principe posé par ce premier article était donc incompatible avec ce texte.

Cette Directive prévoit en outre (article 19) que lorsqu’un OGM a été autorisé en tant que produit ou élément de produit, il peut être utilisé sans autre notification sur tout le territoire de la Communauté. La Pologne ne pouvait donc poser des conditions supplémentaires limitant cette culture, telles que la création de zones dédiées, si l’autorisation accordée ne la prévoyait pas. 

L’autre article du projet Polonais concernait plus particulièrement les essais en plein champ. Il exigeait que la  dissémination volontaire d’OGM fasse l’objet d’une demande comprenant, entre autres documents, une « certification du maire de la municipalité (…) attestant que le plan d’aménagement du territoire local [en] prévoit la possibilité…. » et les « déclarations écrites des propriétaires des exploitations voisines du lieu de la dissémination volontaire, dans lesquelles ceux-ci indiquent ne pas y être opposés ».

Si la législation communautaire prévoit que les disséminations aux fins expérimentales relèvent d’une autorisation au niveau national, elle encadre toutefois cette procédure et précise quels organismes ont vocation à y jouer un rôle. Il s’agit des « autorités compétentes », c'est-à-dire des autorités scientifiques notamment chargées d’apprécier la valeur de l’évaluation des risques pour l’environnement présentée à l’occasion d’une demande d’autorisation d’OGM (article 4 de la Directive précitée). Ces « autorités » ne comprennent pas les maires ou les propriétaires voisins. Leur intervention constituait donc une « exigence administrative supplémentaire » contraire à la Directive.

Ce projet de loi contrevenant à la réglementation communautaire sur les OGM, la Pologne a souhaité, conformément à l’article 95 du Traité CE, être autorisée par la Commission à déroger à son application. C’est ce qui lui a été refusé par la décision rapportée, les arguments qu’elle présentait au soutien de son projet ayant été jugés insuffisants.

b) Les arguments polonais : principe de précaution et agriculture morcelée

La Pologne justifiait son projet de loi par deux types d’argumentaires. Concernant les essais en plein champ, elle indiquait que les mesures de protection n’y sont pas aussi efficaces que celles mises en œuvre dans les systèmes confinés. Puisque l’effet d’un nouvel OGM est inconnu et peut être néfaste, il convenait d’imposer des conditions de sécurité spéciales conformes au principe de précaution.

Sur le second article, propre aux OGM destinés à être mis sur le marché, la Pologne expliquait qu’il avait été inspiré par les lignes directrices européennes sur la coexistence des cultures génétiquement modifiées, conventionnelles et biologiques (5). Ces normes évoquent en effet la possibilité d’un regroupement volontaire de parcelles de différentes exploitations pour la culture de variétés similaires. Selon ce pays, les dispositions envisagées devaient permettre de réduire au minimum les risques associés aux croisements entre plantes génétiquement modifiées et non génétiquement modifiées. Son agriculture étant l’une des plus morcelées d’Europe, il était impossible d’éliminer sur son territoire le risque de contamination par croisement. Enfin, la requérante indiquait que son projet était lié à la nécessité de répondre aux attentes de la société Polonaise et l’absence de dispositions prévoyant une indemnisation en cas de perte agricole résultant du croisement incontrôlé de variétés renforçait la réticence de ses agriculteurs.

Ces arguments n’ont pas permis le succès de la demande polonaise.

II. Pour mettre en place une loi « anti OGM », il faut aussi de solides arguments scientifiques

La demande Polonaise ne pouvait, en l’état de la législation, que se heurter à un refus. Elle ne faisait en effet état d’aucun argument scientifique.

a) Une demande polonaise sans justification scientifique

Les conditions exigées par l’article 95 § 5 pour que la Commission autorise un Etat déroger à une réglementation européenne harmonisée sont cumulatives. Le fait de ne pas satisfaire à l’une d’entre elles est suffisant pour que la demande d’introduction d’une législation nationale contraire soit refusée.

Lorsque la législation envisagée a trait à l’environnement, l’article 95 du Traité exige (i) qu’elle concerne un problème spécifique de l'État membre intéressé, (ii) qui a surgi après l'adoption de la mesure d'harmonisation, et (iii) qu’elle s’appuie sur de nouvelles preuves scientifiques, c'est-à-dire des éléments obtenus après l’adoption de la réglementation communautaire sur le sujet.

Selon la Commission, la condition première à respecter consiste dans la présentation des preuves scientifiques nouvelles. Or en l’espèce, la Pologne ne se prévalait d’aucune. Si elle évoquait l’incertitude qui entoure la question des OGM, elle se bornait à des considérations très générales qui, selon la décision, n’étaient fondées sur aucune étude précise. Sa notification ne pouvait dont qu’être rejetée, quels que puissent être par ailleurs la pertinence de ses arguments (6).

Comme il a été dit plus haut, l'un d'entre eux était le principe de précaution. Or, ce principe n'est pas inconnu de la réglementation européenne sur les OGM. Il est même expressément évoqué par la directive 2001/18 comme un principe dont il a été tenu compte pour son élaboration et dont il doit être tenu compte lors de sa mise en œuvre (point 18 et article 1). Ce principe est donc difficile à invoquer pour contester une décision prise conformément à ce texte.

II. Exemples d’arguments recevables : les apports du précédent Autrichien

La décision Polonaise n’est pas la première sur le sujet. Elle intervient très peu de temps après le refus de la CJCE d’avaliser la législation « anti-OGM » que l’Autriche avait tenté de mettre en place (Land Oberösterreich vs Commission, CJCE 3ème chambre, 13 Septembre 2007). L’Autriche, ou plutôt la région de la Haute Autriche, avait élaboré un projet de loi interdisant l’utilisation d’OGM sur son territoire. Comme la Pologne après elle, elle a notifié ce projet à la Commission pour qu’elle l’autorise à l’adopter.

L'Autriche se prévalait essentiellement de deux arguments. Le premier consistait à dire que la petite taille de ses exploitations agricoles et le nombre important d’exploitants pratiquant l’agriculture biologique sur son territoire constituaient des « spécificités » qui lui étaient propres au sens de l’article 95 § 5 TCE. La CJCE n’a pas admis cette thèse. Il aurait fallu, selon la Cour, que l’Autriche puisse se prévaloir « d’écosystèmes particuliers ou exceptionnels », pour qu’une telle spécificité soit admise. Le second argument résidait dans les conclusions d’un rapport scientifique dit « rapport Müller » dont l’Autriche estimait qu’il apportait des éléments nouveaux justifiant l’interdiction des OGM sur son territoire.

Ce rapport avait été publié le 28 avril 2002, soit environ un an après l’adoption de la Directive 2001/18. Faisant sien l’avis de l’autorité scientifique européenne (EFSA(7)), la Cour estima que ce rapport se fondait en réalité sur des éléments déjà connus au moment de l’adoption de la législation européenne et qu’il n’apportait aucune « preuve scientifique nouvelle ». Il apparaissait plus comme une « validation » des travaux antérieurs que comme un « exposé d’éléments nouveaux » à même de mettre en cause l’évaluation scientifique effectuée lors de la mise en place de la législation. Dans ces conditions, la demande de l’Autriche ne pouvait aboutir.

III. L’adéquation des règles en question

En l'état de la législation européenne, tout membre souhaitant restreindre ou interdire les OGM sur son territoire doit avant tout justifier d'éléments scientifiques nouveaux et extrêmement convaincants. L'analyse de ces éléments n'est pas du ressort de la Commission, qui n'a pas de compétences scientifiques. Elle relève de l'EFSA, dont il est prévu qu'elle soit consultée pour avis dans ce cas. Or ses avis ne peuvent en principe faire l'objet de recours ni de contradiction dans le cadre d'une procédure basée sur l'article 95 § 5 : l'Etat notifiant étant à l'initiative de la procédure, il a été jugé (aff. Land Oberösterreich précitée) qu'il avait tout le loisir d’exposer, dans son acte introductif, les arguments scientifiques justifiant les dispositions nationales dont il demande l'introduction.

Dans l’affaire commentée, la Commission prend le soin de préciser que « c’est à l’Etat membre qui sollicite la dérogation qu’il appartient de prouver que les mesures sont justifiées » et que la Commission n’a pas à « chercher elle-même d’éventuelles justifications ». L’argumentaire de l’Etat agissant sur le fondement de l’article 95 § 5  doit donc être complet dès l’introduction de sa procédure.

En matière d’OGM, cela signifie que l’Etat doit présenter en une seule fois, et dès le dépôt de sa demande, la justification scientifique complète des dispositions nationales envisagées. Or on trouve dans la communauté scientifique d’importantes divergences de points de vue, et le sujet est loin de faire consensus, comme le démontrent les récentes déclarations des membres du comité de préfiguration de la Haute Autorité ou de son président.

Par ailleurs L’EFSA, principal acteur scientifique communautaire, intervient à plusieurs stades pour évaluer les risques des différents types d’OGM (les OGM destinés à l'alimentation humaine sont même autorisés sur la base d'une évaluation unique des risques, effectuée sous sa responsabilité). Lorsqu’un membre utilise l’article 95 § 5, ses arguments scientifiques sont étudiés par l’EFSA. C’est donc souvent sur ses propres évaluations qu’il lui est demandé de revenir(8)... On regrette que sur de tels sujets, qui engagent tant l’environnement que la santé publique, la contradiction scientifique soit exclue de la procédure. Les considérations procédurales qui imposent des délais courts et des échanges réduits ne devraient pas l’emporter sur les impératifs de protection de la santé et de l’environnement. C’est toutefois la raison pour laquelle, en l’état de la réglementation européenne, la réponse à la demande de l'opinion visant à mettre un frein à la culture ou à la mise sur le marché des OGM, si elle n'est pas politique, devra être scientifique avant d'être juridique.

Céline Marchand

(1) Arrêté du 7 février 2008 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié, JORF n°0034 du 9 février 2008 page 2462 modifié par arrêté du 13 février 2008 JORF n°0042 du 19 février 2008 page 3004

(2) En janvier 2008, les dispositions de l’article 23 de la Directive 2001/18 étaient invoquées par l’Autriche et la Hongrie pour 4 OGM autorisés, une mesure de sauvegarde était également invoquée par la Grèce à l’encontre du Mais MON 810 sur le fondement de la Directive 53/2003

(3) Décision 2008/62/CE de la Commission du 12 octobre 2007 relative aux articles 111 et 172 du projet de loi polonais concernant les organismes génétiquement modifiés, JO L 16 du 19.1.2008.

(4) Projet de loi de la Pologne sur les organismes génétiquement modifiés, comportant des dérogations aux dispositions de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, notification 2007/C 173/05, JOUE du 26 juillet 2007

(5) Recommandation de la commission du 23 juillet 2003 établissant des lignes directrices pour l'élaboration de stratégies nationales et de meilleures pratiques visant à assurer la coexistence des cultures génétiquement modifiées, conventionnelles et biologiques, JO L 189, 29 juillet 2003 p.36

(6) La Pologne n’a notifié ces articles qu’au visa de la directive 2001/18 relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement, et non au visa du règlement 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Cette décision ne préjuge donc pas des décisions qui pourraient être prononcées sur le fondement d’autres textes que la directive.

(7) Agence Européenne de Sécurité des Aliments AESA ou en anglais EFSA

(8) Voir pour exemple la proposition de décision du Conseil concernant l'interdiction provisoire de l'utilisation et de la vente, en Autriche, de maïs génétiquement modifié Zea mays du 9 octobre 2007.

31 mars 2008

Faire son beurre avec de la margarine

Selon les juges, la publicité commune MAAF-Fruit d’Or Proactiv n’était pas trompeuse car le consommateur ne pouvait en déduire que la margarine Proactiv était un « produit miracle » contre le cholestérol. Par ailleurs, aucun texte n’exigeait que l’étiquetage recommande - de façon générale - la consultation d’un médecin. La margarine contre le cholestérol n’est (n’était ?) pas un médicament.

La société Unilever et la compagnie d’assurance MAAF ont lancé au début de l’année 2006 une campagne publicitaire commune. Cette opération avait pour objet de promouvoir simultanément la margarine Fruit d’Or Pro Activ et la complémentaire santé « Maaf Santé 2007 » en mettant en exergue les propriétés anticholestérol de cette margarine tout en offrant, sur justification de l’achat d’un certain nombre de pots, une réduction tarifaire sur cette police d’assurance.

Estimant cette campagne publicitaire trompeuse, l’association de consommateurs UFC Que Choisir en demanda l’interdiction. En vain : la Cour d’Appel de Paris(1) a confirmé le refus que lui avait déjà opposé par le TGI de Paris(2).

Pour l’association, cette campagne publicitaire faisait croire au consommateur que la simple consommation de la margarine entraînait - à elle seule - une réduction significative du taux de cholestérol. Cela lui conférait un caractère trompeur car cette réduction procède en réalité d’une pluralité de facteurs, comme l’alimentation et l’hygiène de vie. Le fait qu’il s’agisse d’une publicité associant une margarine « santé » à une offre portant sur une complémentaire santé renforçait cette croyance. En effet la présence de l’assureur laissait entendre que le risque-santé des consommateurs de margarine enrichie était moindre que celui des personnes n’en consommant pas.

Les juges ont rejeté cette analyse. D’une part parce qu’ils ont estimé que le consommateur est assez éduqué pour être critique vis-à-vis de la publicité et ne pas croire n'importe quoi (I). D’autre part parce que la réglementation n’imposait pas que la publicité fasse apparaitre une mention relative à la nécessité d’un suivi médical. Selon les magistrats, la margarine concernée est donc un « simple » aliment  (II).

(I) Les juges sont d’avis que le consommateur moyen est attentif

En droit, on apprécie le caractère trompeur d’une publicité en prenant en considération, « par rapport au support utilisé, la perception globale que peut avoir de la publicité un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ». En l’espèce, les magistrats ont estimé que le consommateur moyen ne pouvait déduire de la campagne en cause que cette margarine était un « produit miracle ».

Cette opération promotionnelle était déclinée un peu différemment selon le support, presse écrite ou télévision/internet. Le message utilisé dans la presse écrite précisait que la réduction du mauvais cholestérol se produit dans le cadre d’un régime adapté riche en fruits et légumes. Des renvois en bas du message précisaient les conditions d’utilisation du produit. Selon les magistrats, ces détails empêchaient le consommateur moyen de penser que l’utilisation de cette seule margarine suffisait à faire baiser son taux de cholestérol.

Le film n’était, selon les juridictions, pas plus trompeur : le client était représenté en tenue de sport, tenait le résultat de ses analyses à la main, et portait un filet à provision rempli de fruits et légumes. Le téléspectateur devait comprendre de ces éléments visuels que la consommation de Fuit d’Or Proactiv « s’inscrivait dans le cadre d’un d’une hygiène de vie alimentaire et sportive ». Là non plus, il ne pouvait comprendre que la seule consommation de margarine pouvait avoir un effet significatif.

L’analyse que faisait l’UFC de cette campagne aboutissait à une solution contraire. N’ayant pu y faire adhérer les premiers juges, la fédération a voulu produire, devant la Cour d’Appel, une étude marketing portant sur la perception de cette opération publicitaire par le consommateur. On suppose que ses conclusions faisaient valoir que celui-ci n’avait pas, sur la publicité, le recul que les premiers juges lui attribuaient. L’arrêt ne le dit pas. L’étude fut rejetée des débats au motif qu’elle avait été réalisée « sur demande de l’association, pour les besoins de la procédure, plusieurs mois après la fin de la campagne publicitaire et dans des conditions critiquées les autres parties ».

C’est dommage.

On aurait aimé que des professionnels de la publicité ou des sociétés d’opinion, pourquoi pas nommés par la juridiction, examinent sérieusement l’impact de cette campagne…Le marketing et la publicité sont des arts de manipulation. Ils ont en substance pour objectif de provoquer l’acte d’achat chez le consommateur. On peut donc se demander si l’analyse d’une publicité par un professionnel du droit concentré sur son dossier et attentif aux détails du cas étudié peut vraiment être transposée à celle qu’effectue « en situation » Monsieur Tout-le-Monde, en lisant son journal le matin ou devant la télévision après une journée bien remplie.

La question se pose d’autant plus que l’INPES a récemment publié une étude sur la perception des messages sanitaires apposés sur les publicités alimentaires Eviter de manger trop gras, trop sucré, trop salé »). Selon celle-ci, « une majorité de Français de 15 ans et plus pensent que le message affiché serait adapté au produit promu », c'est-à-dire que lorsqu’une publicité pour un yaourt aux fruits mentionne « pour votre santé, mangez au moins 5 fruits et légumes par jour », 44% de ces personnes « pensent à tort que ce yaourt fournit une portion de fruits pour la journée ». Ne doit-on pas alors fortement relativiser le degré de compréhension du consommateur ?

Par ailleurs, peut-on vraiment croire que le lecteur d’une publicité décortique, comme le juriste le fait, les astérisques figurant au bas de celles-ci ?

Enfin et surtout, l’être humain est ainsi fait qu’il préfère la facilité. Lorsqu’il lui est (peu ou prou) proposé de baisser son taux de cholestérol en mangeant, croit-on vraiment qu’il entendra le message - suggéré par un panier à légume et un jogging – l’invitant à mener une vie saine et sportive ? Compte tenu de la façon dont le consommateur perçoit les messages sanitaires (cf ci-dessus), on peut tout à fait imaginer qu’il déduise au contraire que c’est en mangeant de la margarine aux stérols qu’il sera en bonne santé et qu’il pourra faire du sport….Quand on sait qu’un message clair (« Eviter de…) n’est pas compris, comment penser qu’un message simplement insinué le soit ? Compte tenu de la sophistication des outils utilisés par la publicité, il me semble que la détermination de ce qu’est le « consommateur moyen » ne peut plus se satisfaire d’une perception subjective. Une étude «scientifique » c'est-à-dire chiffrée, de la perception de la publicité aurait été bienvenue ici .

(II) la margarine aux stérols est un simple aliment

Le second reproche que faisait l’UFC à cette campagne était de ne pas mentionner la nécessité d’un suivi médical que ce soit pour les futurs consommateurs de cette margarine ou dans le cadre d’une consommation prolongée. Pour la Cour, si ce produit relève d’une autorisation de mise sur le marché et d’un étiquetage spécifique, il s’agit néanmoins d’un « produit (…) vendu en grande surface » au sujet duquel il n’a pas été démontré que la réglementation impose l’obligation de mentionner, d’une façon générale, la nécessité de consulter le médecin. Il s’agit effectivement d’un aliment dont le régime est fixé par des règles européennes (a). Le renvoi au médecin aurait été obligatoire si ce produit avait été considéré comme un médicament (b).

a) Le régime (juridique) stérolien

La campagne publicitaire, pas plus que l’étiquetage du produit, ne renvoyaient à une recommandation générale de consulter un médecin avant de consommer la margarine. Une invitation à consulter concernait toutefois spécifiquement les patients sous hypocholestérolémiants.

Le choix de ces mentions ne relève pas du fabriquant mais des termes de l’autorisation de mise sur la marché des margarines enrichies aux stérols végétaux, dites "matières grasses à tartiner enrichies aux esters de phytostérol" délivrée le 24 juillet 2000 à Unilever, et du Règlement (CE) n° 608/2004 de la Commission du 31 mars 2004 concernant l'étiquetage des aliments et ingrédients alimentaires avec adjonction de phytostérols(3).

Selon ces textes, l’étiquetage de ces produits doit obligatoirement comporter un certain nombre de mentions. Il doit notamment signaler que le produit est destiné aux personnes qui souhaitent abaisser leur taux de cholestérol sanguin, que les patients sous hypocholestérolémiants sont invités à ne consommer le produit que sous contrôle médical et, de façon visible et lisible, que le produit peut ne pas convenir, d'un point de vue nutritionnel, à certaines catégories de la population (femmes enceintes et allaitantes et enfants âgés de moins de cinq ans). Par ailleurs une recommandation doit inviter à utiliser le produit dans le cadre d'une alimentation équilibrée, comprenant une consommation régulière de fruits et légumes.

Ni le règlement ni l’autorisation n’exigent que l’étiquetage recommande - de façon générale - la consultation d’un médecin. Par ailleurs ces textes ne concernent que l’étiquetage des produits. Ils ne visent pas leur publicité. Les mises en garde n’étaient donc pas, en tant que telles, obligatoires ici. Elles ne l’étaient qu’indirectement (on ne peut exclure une mise en cause pour défaut d’information, etc.). C’est pourquoi la publicité pour la margarine enrichie en stérols n’avait pas à renvoyer de façon générale le consommateur à une consultation médicale. La campagne promotionnelle décriée respectait en tout point ses obligations légales à ce titre.

b) Margarine et médicament

Dans la campagne concernée, la margarine Fruit d’Or enrichie aux stérols végétaux était présentée comme réduisant le taux de cholestérol sanguin. Cette publicité citait toute une liste de contre-indications et de précautions d’emploi. D’aucun pouvaient penser légitime d’assimiler cette margarine à un médicament : elle était destinée aux mal portants et les mentions visibles sur son étiquetage conféraient à la notice d’utilisation. Pourtant, l’arrêt ne pose même pas la question de la nature - aliment ou médicament -  du produit. Il indique simplement que « les produits concernés, qui certes relèvent d'une autorisation particulière pour être mis sur le marché et pour lesquels un étiquetage spécifique est requis, sont des produits alimentaires vendus en grandes surfaces ».

Cette référence au lieu de vente est étonnante. La Cour semble se servir de ce détail pour conforter le fait que la margarine concernée est un aliment banal. Or l’on sait que l’on trouve dans les rayons de la grande distribution un certain nombre de produits faisant l’objet du monopole pharmaceutique (telle la vitamine C à certains dosages) qui ont le statut de médicament et pour la vente desquels les hypermarchés se font régulièrement condamner. Il est donc particulièrement singulier que la Cour illustre le caractère commun de cet aliment de cette manière…

La Cour n’aurait-elle pas dû se poser la question de la nature du produit ? Toute publicité en faveur d’un médicament doit être accompagnée d'un message de prudence et de renvoi à la consultation d'un médecin en cas de persistance des symptômes (article L5122-6 du code de la santé publique). La margarine, si elle avait relevé du régime des médicaments, aurait été soumise à cette obligation.

Le médicament est défini à l’article L5111-1(4) du code de la santé publique. On distingue le médicament par fonction (substance qu’on administre en vue de produire un effet médicamenteux) du médicament par présentation (substance qui est présentée comme un médicament, quelques soient ses effets réels). La margarine enrichie ne pouvait-elle relever de l’une ou de l’autre de ces définitions ?

Médicament par fonction

A l’époque des faits, le médicament par fonction était défini comme « tout produit pouvant être administré à l'homme (…) en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier [ses]  fonctions organiques ». Si les juges ne se sont penchés sur la question de savoir si la margarine enrichie aux stérols pouvait relever de cette définition, c’est certainement parce qu’ils ont considéré que l’autorisation de mise sur le marché (cf ci-dessus) avait réglé la question de son régime juridique. Cette AMM autorise en effet cette matière grasse à tartiner en tant que nouvel aliment ou nouvel ingrédient alimentaire et fixe les mentions devant figurer sur son étiquetage. S’agissant d’une législation spéciale, elle l’emporte sur la réglementation générale. C’est pourquoi il était inutile de se poser la question de la nature médicamenteuse de ce produit : la Commission avait répondu en lui conférant le statut d’aliment.

La question se poserait toutefois peut-être différemment aujourd’hui. Le nouvel article L5111-1 du code de la santé publique précise en effet que lorsqu’un produit « est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament (…) et à celle d'autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme un médicament ». La catégorie « médicament » l’emporte donc sur les autres…

Le médicament par fonction consiste à présent dans « toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme (…), en vue (….) de restaurer, corriger ou modifier  [ses] fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ». La nouvelle définition est plus large que la précédente puisqu’elle prend en compte les fonctions physiologiques et non plus seulement organiques. Ne s’appliquerait-elle pas à la margarine concernée ? 

Le cholestérol est un constituant essentiel de la membrane cellulaire. Il est naturellement synthétisé par le foie. Pour simplifier, lorsque la quantité de cholestérol est trop importante, le surplus se dépose contre les parois artérielles. Il en vient à les obstruer, et à provoquer des maladies cardio-vasculaires.

Selon le site Fruit D’or, les stérols végétaux « entrent en compétition avec le cholestérol et limitent son passage dans le sang ». Selon Nicolas Rousseau dans " Health & Food" (5), « la compétition avec les stérols libres signifie donc que le cholestérol est absorbé en plus faible quantité. (…) Le métabolisme du cholestérol est tout autant affecté: on observe en premier lieu une diminution de l’incorporation du cholestérol dans le foie via les chylomicrons. (…)».

Si les stérols agissent en exerçant un blocage partiel de l’assimilation du cholestérol dans le sang, ne s’agirait-il pas là d’une action par antagonisme, qui est un mode d’action pharmacologique ? Leurs effets ne constitueraient-ils pas au surplus la modification d’une fonction physiologique ? A vue de nez, il semble que oui…Et si tel était effectivement le cas, la fameuse phrase d’Hippocrate serait vérifiée : « Que ton aliment soit ton premier médicament »…

Médicament par présentation

La campagne avait pour titre « agir ensemble contre le cholestérol ». On l’a dit, toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines constitue un médicament par présentation. Pour que la margarine enrichie puisse être considérée comme un médicament par présentation, il faudrait d’abord déterminer la nature juridique du cholestérol. Le cholestérol est-il une maladie ?

Le droit français ne définit pas la notion de maladie et la jurisprudence en a adopté une définition fort large. Ainsi la migraine ou la cellulite ont été considérées comme des maladies…Une maladie est une « altération organique ou fonctionnelle de la santé de l'individu. Une maladie trouble le fonctionnement normal du corps humain(6)». On l’a vu, le cholestérol est indispensable au bon fonctionnement du corps humain. C’est l’excès de cholestérol qui est susceptible d’avoir pour conséquence une altération de la santé. Le cholestérol n’est donc pas en lui-même une maladie.

Dans sa version « presse écrite » la publicité commentée justifiait le rapprochement des annonceurs (Fruit d’Or et la Maaf) par la nécessité d’ « agir ensemble contre le cholestérol ». Elle évoquait les objectifs de réduction du cholestérol dégagés par le PNNS (7). Elle mentionnait la « lutte » contre l’hypercholestérolémie et soulignait que la Maaf mène « depuis longtemps de nombreuses actions de prévention ». Dans sa version « télévision et internet », la campagne prenait la forme d’un film publicitaire humoristique mettant en scène un client et un assureur. Le client expliquait à son assureur que son cholestérol était en baisse depuis qu’il consommait les produits Fruits d’Or ProActiv. En réalité, la campagne publicitaire proposait de lutter non pas contre l’hypercholestérolémie, mais seulement le cholestérol. Celui-ci n’étant pas en soi une maladie, la margarine ne pouvait se voir qualifiée de médicament par présentation.

Or la campagne publicitaire employait au sujet du cholestérol les mêmes images ou les mêmes mots que ceux qui auraient été employés à propos d’une maladie. En pointant du doigt tantôt le cholestérol tantôt l’hypercholestérolémie, elle créait dans l’esprit du consommateur un amalgame entre le cholestérol, l’hypercholestérolémie et les potentielles conséquences de cette dernière.

Ce faisant, la campagne instillait l’idée que le cholestérol est une maladie. Cette idée était renforcée par la présence de la Maaf : en donnant une caution non pas médicale mais « santé », l’assureur renforçait l’idée selon laquelle la consommation de cette margarine constituait une prévention efficace (un médicament) contre le cholestérol, dont il était sous-entendu qu’il était à combattre.

Ainsi le génie de cette publicité était certainement de créer une confusion entre cholestérol et maladie. Ainsi, la margarine ne pouvait être considérée comme un médicament. Elle n’était en effet pas présentée comme possédant des propriétés à l’égard des maladies humaines, mais comme possédant des propriétés à l’égard de ce qui est présenté comme une maladie humaine…

Céline Marchand

(1) Cour d’Appel de Paris, arrête du 16 Novembre 2007, 25ème Chambre section A, RG 06/13276

(2) TGI de Paris, jugement du 13 Juin 2006, 1ère Chambre, RG 06/0568

(3) (…) esters de phytostérol, phytostanols et/ou esters de phytostanol  http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32004R0608:FR:HTML 

(4) Cet article a été modifié par la loi du 26 février 2007, qui transposait en droit français la  directive CE n°2004/27 du 31 mars 2004. Aujourd’hui le médicament est « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ».

(5) numéro 76, Mars/Avril 2006

(6) http://www.cybmut.com/Glossaire.asp 

(7) http://www.mangerbouger.fr/pnns/index.php

                                                                                                    

28 février 2008

Uncle Sam n’est plus collé

Assouplissement des mesures restrictives pesant sur l'importation du riz américain.

Souvenez vous : en 2006, un riz génétiquement modifié interdit en Europe, le LL RICE 601, avait été retrouvé par les autorités américaines dans des échantillons dans lesquels ils n’avaient rien à faire. Des mesures d’urgence avaient alors été prises : l’union avait interdit (1) l’importation de produits à base de riz en provenance des états unis, sauf ceux accompagnés d’un rapport d’analyse établi par un laboratoire accrédité attestant que les produits ne contenaient pas de riz « LL RICE 601».

Ces mesures avaient ensuite été complétées. Des vérifications avaient en effet révélé la présence de ce riz dans des lots pourtant dûment accompagnés du rapport d’analyse. C’est ainsi que la Commission (2) avait ensuite également imposé un échantillonnage systématique et une analyse officielle de chaque lots de produits provenant des états unis, avant leur mise sur le marché en europe.

Cette dernière obligation a été levée par la Commission (3) le 26 février 2008.

Elle fait suite à la mise en place d’un plan de retrait du « LL Rice » du circuit d’exportation américain et à la soumission par le USDA d’un protocole visant à garantir que les produits concernés sont soumis à un échantillonnage officiel effectuée par l’administration américaine et à une analyse en laboratoire.

Ainsi, les produits concernés devront à présent (3) simplement présenter (*) une déclaration de l’exploitant selon laquelle ils ont été soumis au plan de retrait du LL Rice 601 et (**) un rapport d’analyse établi par un laboratoire, accompagné d’un document officiel établi par l’administration en charge de ce sujet, la GIPSA.

Uncle Ben's Sam n'est plus collé.

Céline Marchand

(1) Décision 2006/601/CE

(2) Décision du 6 novembre 2006 C(2006) 5266

(3) Décision du 26 février 2008 (2008/162/CE)

27 février 2008

Le profil nutritionnel se profile

Le règlement 1924/2006 prévoit que la Commission devra avoir établi pour le 19 Janvier 2009 les profils nutritionnels que les aliments ou certains groupes d’aliments devront respecter pour justifier l’utilisation d’allégations nutritionnelles et de santé à leur propos. C’est à l’EFSA que revient la mission de lui fournir l’appui scientifique nécessaire.

Le Panel sur les produits diététiques, la nutrition et les allergies de cette autorité vient de rendre un rapport dans lequel il définit les critères qui pourraient être utilisés pour définir quels aliments pourraient bénéficier des allégations. En voici un aperçu, issu d’une traduction libre et partielle du communiqué de presse. 

En substance, le Panel conclut que le critère le plus important à prendre en considération pour l’établissement des profils nutritionnels est le potentiel que peut avoir un aliment à affecter négativement le régime alimentaire global.

Le rôle de chaque groupe alimentaire doit être pris en compte et les profils nutritionnels doivent être cohérents avec les recommandations effectuées en matière alimentaire par les autorités des différents pays de l’Union.

Le choix des nutriments à prendre en compte dans l’établissement des profils nutritionnels doit être guidé par leur importance en termes de santé publique pour les populations des Etats membres. Parmi ces nutriments figurent ceux qui ne font en général pas partie des recommandations nutritionnelles comme les graisses (saturées ou non), le sodium (sel)…A titre d’exemple, le Panel précise qu’en matière de santé publique, l’impact du sucre est lié au schéma de consommation de certains aliments. La teneur totale en sucre pourrait ainsi être prise en compte pour certains groupes d’aliments, tels que les boissons ou les sucreries, qui peuvent être consommées fréquemment.

En fonction du schéma adopté, les calories (densité énergétique) ou les graisses, tout comme d’autres nutriments, pourraient également être inclus. Mais le nombre de nutriments ou paramètres devra être limité pour éviter que les profils nutritionnels ne soient trop complexes.

Un certain nombre d’exemptions sont prévues pour que des aliments qui jouent un rôle alimentaire important et qui ne correspondent pas aux critères d’équilibre requis puissent bénéficier d’allégations nutritionnelles ou de santé (ainsi les huiles végétales, les produits laitiers mais également les céréales, la viande et le poisson, les fruits et les légumes…). Par exemple les huiles végétales qui sont composées de 100% de graisse pourraient être exclues du bénéfice des allégations alimentaires. Or, le bénéficie de leurs apports nutritionnels est incontesté.

Le Panel reconnait les limitations intrinsèques à l’utilisation de profils pour classer les aliments éligibles aux allégations. En effet, il est très difficile d’appliquer les recommandations générales au cas particulier. Par ailleurs, l’effet de la cuisson, de la préparation ou de l’ajout de substances telles les graisses et les sucres, et enfin les habitudes de consommation, modifient les apports nutritionnels. Or ils ne peuvent être pris en compte.

Céline Marchand

20 février 2008

Règlement Allégations de Santé : d’obscures corrections

Le règlement européen sur les allégations nutritionnelles et de santé vient d’être modifié par deux règlements du 15 janvier 2008. A leur lecture, il semble qu’il s’agisse plus de rectifications que de modifications du règlement initial. En effet, les nouveaux textes (i) précisent les mesures transitoires qui n’existaient pas s’agissant des allégations relatives au développement et à la santé des enfants et précisent (iii) le sort des allégations qui feront l’objet d’un usage restreint au profit d’un exploitant, après les cinq ans que durera ce « droit d’usage privatif ». Enfin, ils modifient (ii) la manière dont les décisions seront prises en vertu de ce règlement, en donnant plus de pouvoir au Parlement Européen.

Pourtant jeune, puisqu’il date de décembre 2006, le règlement européen sur les allégations nutritionnelles et de santé (1) vient déjà de subir quelques retouches d’importance.

Deux textes (2) datés du 15 janvier 2008 l’amendent en effet sur plusieurs points.

Le premier prévoit que les allégations relatives au développement et à la santé des enfants seront désormais soumises aux mêmes mesures transitoires que les autres allégations.

Le second modifie en profondeur le processus d’adoption des mesures qui doivent être prises en application de ce règlement, en en soumettant la plupart à la procédure de réglementation avec contrôle instituée par la décision 2006/512/CE. Enfin et surtout, ce second règlement modifie les dispositions relatives aux allégations dont l’emploi est limité au bénéfice d’un seul exploitant.

A la lecture de ces textes, il apparaît que ces changements relèvent plus de la rectification que de la modification. Compte tenu de la clarté toute relative de la rédaction du texte initial, on ne peut que comprendre la nécessité de telles corrections. 

1. Des mesures transitoires pour les allégations relatives à la santé des enfants

Le règlement européen sur les allégations nutritionnelles et de santé est devenu applicable le 1er juillet 2007.

Selon ce texte, la Commission doit adopter, au plus tard le 31 janvier 2010, une liste communautaire des allégations de santé autorisées (autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu'au développement et à la santé infantiles). Cette liste, issue des listes d’allégations qui ont été communiquées à la Commission par les Etats avant le 31 janvier 2008, comportera toutes les conditions nécessaires pour leur utilisation.

Les allégations faisant référence à la maladie et à la santé des enfants ont un régime différent : il est prévu qu’elles fassent l’objet au cas par cas d’une évaluation scientifique, mais directement au niveau européen, par l’AESA. Celle-ci a d’ailleurs publié un « guide de la demande d’autorisation » à destination des entreprises souhaitant être autorisées à utiliser de telles allégations.

Actuellement, la liste communautaire des allégations relatives à la réduction d’un risque de maladie n’est pas encore établie. Par conséquent, elles gardent le même régime que des allégations relatives à la prévention et au traitement des maladies, elles-mêmes toujours interdites.

Il est apparu que les allégations relatives à la santé infantile sont déjà utilisées dans certains états membres. Or, aucune mesure transitoire n’avait été prévue jusqu’à l’adoption des autorisations communautaires. Il s’agissait d’une petite «incohérence réglementaire» qu’il convenait de corriger.

Les allégations relatives au développement et à la santé des enfants sont régies, tout comme les allégations relatives à la réduction du risque de maladie, par l’article 14 du règlement 1924/2006. Dans sa toute nouvelle version, cet article distingue les deux types d’allégations, ce qui permet de les soumettre à des régimes transitoires différents.

Ainsi, le nouvel article 28 paragraphe 6 traitant des mesures transitoires exclut les allégations de santé «fonctionnelles» (c'est-à-dire décrivant le rôle d'un nutriment ou d'une autre substance dans la croissance, dans le développement et dans les fonctions de l'organisme) et les allégations relatives à la réduction d’un risque de maladie, du régime transitoire auquel sont soumis les autres types d’allégations de santé (celles relatives au développement et à la santé des enfants et les allégations psychologiques, comportementales, et relatives à l’amaigrissement).

Pour mémoire les allégations de santé fonctionnelles (article 13,1.a) pourront être faites jusqu'à l'adoption de la liste communautaire les autorisant, sous la responsabilité des exploitants du secteur alimentaire.

Les autres catégories d’allégations de santé, lorsqu’elles ont été utilisées conformément aux dispositions nationales avant la date d'entrée en vigueur du règlement, sont soumises à des régimes différents selon quelles ont fait ou non l’objet d’une évaluation et d’une autorisation dans un Etat membre. La commission statuera sur le sort des premières sur la base des listes communiquées par les Etats (voir ci-dessus). Les secondes devaient faire l’objet d’une demande d’autorisation avant le 19 janvier 2008 pour pouvoir continuer à être utilisées. En cas de décision de refus, il est prévu un délai de six mois pendant lequel elles peuvent encore être utilisées.

2. Un nouveau processus décisionnel : la procédure de réglementation avec contrôle

La plupart des mesures d’application du règlement n° 1924/2006 devaient être prises par la Commission dans le cadre d’une procédure de réglementation, c'est-à-dire après avis d’un comité composé des représentants des Etats membres.

La décision du 17 juillet 2006 du Conseil a introduit un nouveau type de compétence d’exécution : la procédure de réglementation avec contrôle. Cette procédure renforce l’information du Parlement européen sur les travaux des comités et lui permet de s’opposer à l’adoption de mesures qu’il estimerait excéder les compétences conférées à la commission par le texte concerné.

La procédure de réglementation avec contrôle est utilisée dans le cas de « mesures de portée générale ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels d’un acte adopté selon la procédure visée à l’article 251 du Traité » CE. Cette procédure, selon sa définition, doit permettre aux deux branches de l’autorité législative (le Parlement et le Conseil) d’effectuer un contrôle préalable à l’adoption de ces mesures. En effet, seul le législateur peut modifier les éléments essentiels d’un acte législatif.

Ce nouveau processus décisionnel remplacera pour un certain nombre de décisions la « procédure de réglementation » qui avait initialement été choisie pour l’application de l’ensemble du règlement sur les allégations nutritionnelles et de santé.

Relèvent à présent de la procédure de réglementation avec contrôle :

  • les demandes de dérogation à l’usage d’une double allégation nutritionnelle ou de santé dans le cas où la marque de fabrique ou le nom commercial du produit eux-mêmes peuvent être considérés comme une allégation nutritionnelle ou de santé ;

  • la définition des profils nutritionnels et leur mise à jour ainsi que les conditions de l’utilisation des allégations nutritionnelles ou de santé pour les aliments conformes à ces profils

  • la liste des denrées alimentaires à l’égard desquelles il y a lieu de restreindre ou d’interdire les allégations nutritionnelles ou de santé.

  • la liste des allégations de santé autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu’au développement et à la santé des enfants

  • la décision concernant les allégations nutritionnelles sous la forme d’images ou d’éléments graphiques

  • la décision concernant les allégations de santé autres que « fonctionnelles » (c'est-à-dire décrivant le rôle d'un nutriment ou d'une autre substance dans la croissance, dans le développement et dans les fonctions de l'organisme) et autres que les allégations relatives à la réduction d’un risque de maladie,

3. Les dispositions relatives aux allégations dont l’emploi est limité au bénéfice d’un seul exploitant.

  • Le droit privatif à l’utilisation d’une l’allégation de santé

Le règlement 1924/2006 permet aux exploitants du secteur agroalimentaire qui souhaitent utiliser une allégation de santé ne figurant pas encore sur le Registre (3), d’en demander l’inscription.

Dans ce cadre, il est possible de conférer à un exploitant une sorte de « droit privatif » de cinq ans sur une allégation lorsqu’elle ne peut être justifiée autrement que par la présentation de données relevant de la propriété exclusive de celui-ci.

L’allégation concernée doit alors être inscrite dans une annexe distincte du Registre et être accompagnée de la mention selon laquelle l’emploi de l’allégation est restreint.

Il n’est donc pas possible pour un autre exploitant d’utiliser l’allégation concernée pendant une durée de cinq ans….sauf à ce que le propriétaire des données le lui permette ou que cet exploitant obtienne une autorisation pour cette allégation sur la base d’autres données (ou sauf à ce que le caractère privatif des données soit remis en cause, ou qu’il soit démontré que ces données n’étaient pas indispensables à la justification de l’allégation).

Le système aboutit donc à la mise en place d’une sorte de « droit de propriété intellectuelle canada-dry » sur les allégations de santé : un exploitant devient de facto, en raison de son droit de propriété sur les données ayant permis d’aboutir à la justification de l’allégation, le seul à pouvoir utiliser l’allégation en question pendant une durée de cinq ans.

  • Une allégation qui tombe dans le domaine public

Le nouveau texte prévoit toujours la possibilité pour la Commission de restreindre l’emploi d’une allégation en faveur d’un exploitant pendant cinq ans. Cette décision doit à présent être prise conformément à la procédure de réglementation, et non de réglementation avec contrôle.

Mais il ajoute que, avant l’expiration de cette période de cinq ans, si l’allégation continue de remplir les conditions définies dans le règlement (c'est-à-dire si elle est toujours fondée sur des données privatives la justifiant), la commission devra soumettre un projet de mesures permettant l’autorisation de l’allégation sans restriction d’utilisation.

Ce projet fera l’objet d’une décision selon la procédure de réglementation avec contrôle.

C’est en tout cas ce que je comprends de ce texte dont la limpidité n’est pas la plus grande des qualités.

Il est désormais spécifiquement précisé que lorsqu’un exploitant fait une demande d’autorisation d’une allégation sur la base de données qui lui sont privatives, l’autorisation est accordée pour une durée de cinq ans.

C’est donc aujourd’hui la validité même de l’allégation qui est limitée à cinq ans.

Dans la rédaction antérieure du règlement, la durée de l’autorisation était indéterminée. Pendant cinq ans, les données qui la fondent ne pouvaient être utilisées par un autre exploitant, ce qui aboutissait de facto à empêcher les autres exploitants d’utiliser l’allégation.

Après cette période de cinq ans, il était prévu que les autres exploitants puissent se référer à ces données (article 21,2. a contrario). Mais aucune procédure n’avait été prévue pour modifier le registre. Or le registre indique que l’allégation fait l’objet d’un emploi restreint à moins qu’un autre exploitant n’obtienne l’autorisation d’utiliser l’allégation sur la base d’autres données.

Il y avait donc, après cette période de cinq ans, une contradiction entre la possibilité qui était offerte aux exploitants de se référer aux données de l’utilisateur de l’allégation et le texte même du registre. Puisque la modification de ces mentions n’était pas prévue, les autres exploitants ne pouvaient de facto toujours pas utiliser l’allégation.

Cette incohérence ne correspondait pas à l’esprit du texte qui n’entendait pas créer un droit privatif éternel sur l’allégation. C’est pourquoi le nouveau texte confie à la Commission (si je le comprends bien) le soin de proposer les mesures visant à permettre l’autorisation de cette allégation « sans restriction d’utilisation » après le délai de cinq ans.

J’en déduis que l’allégation pourra en quelque sorte, au terme de cette période, tomber dans le domaine public.

En introduction, le nouveau règlement 107/2008 (point 4), précise que « l’autorisation d’emploi limitée à un seul exploitant ne devrait pas empêcher d’autres demandeurs de solliciter l’autorisation d’utiliser la même allégation ».   

En réalité, il n’y a pas, à la lecture de ce texte, d’assouplissement du sort des exploitants. La limitation qui les touchait de pouvoir utiliser après la période de cinq ans les allégations fondées sur des données privatives résultait d’une maladresse de rédaction du texte.

Le règlement 107/2008 ne fait donc que rectifier le règlement initial sur ce point.

Il est des textes limpides. Il en est d’autres obscurs. Je dois avouer que le règlement 1924/2006 et de ses simili rectificatifs sont de bons exemples de ce qui, en matière textuelle, se fait de compliqué et de pourrait mieux être écrit…

Le plus savoureux se situe aux points b) de l’article 17 paragraphe 3 et b) de l’article 18 point 5.

Céline Marchand

(1) Règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires

(2) Le règlement (CE) n° 109/2008 du 15 janvier 2008 et le règlement (CE) n° 107/2008 du 15 janvier 2008

(3) Les allégations nutritionnelles et de santé pouvant être utilisées seront inscrites dans un registre communautaire les regroupant et précisant leurs conditions d’utilisation

30 septembre 2007

Un Gel d’OGM qui défrise (la légalité)

A l’heure où la première phase du « Grenelle environnement » s'achève et où l’atelier consacré aux OGM a émis l’idée de l’adoption avant la fin du printemps 2008 d’une loi d'une loi traitant des OGM, la Cour de Justice des Communautés vient de rendre un Arrêt qui ne devrait pas laisser indifférent.

Selon cette décision, un Etat membre de l’union européenne ne peut décider, de son propre chef, d’interdire de façon générale la culture des OGM.

Si, au regard de la législation européenne, cette exclusion totale est en théorie possible, ses conditions apparaissent pour le moins…difficiles à réunir.

L’Histoire

L’affaire qui vient d’être tranchée par la CJCE concernait la province de Haute Autriche, le Land Oberösterreich. Cette région avait élaboré, en 2002, un projet de loi visant à interdire la culture d’OGM et l’élevage d’animaux transgéniques. Cette législation allant à l’encontre de la législation communautaire sur les OGM, l’Autriche demandait à la Cour, après avoir essuyé un refus de la Commission et du TPI, l’autorisation de bénéficier d’une dérogation à son endroit.

La législation communautaire (1) sur les OGM prévoit un régime commun d'évaluation des risques et d’autorisation. Un Etat ne peut donc interdire ou restreindre la libre circulation d’OGM autorisés conformément à ses exigences.

Cependant, dans l’hypothèse où il serait permis de penser qu’un OGM déterminé présenterait un risque pour la santé ou l’environnement, un Etat peut en limiter ou en interdire provisoirement l’utilisation et/ou la vente sur son territoire.

Il doit dans ce cas actionner la « clause de sauvegarde » (2). Cependant ce mécanisme ne concerne que l’éventuelle remise en cause de l’autorisation donnée à un OGM précis. Il ne peut s’appliquer à une interdiction générale de la culture des OGM.

Pour être autorisé à interdire de façon générale les OGM, un Etat doit obtenir une dérogation. Cette dérogation est prévue à l’article 95 paragraphe 5 du Traité CE.

Comment obtenir une dérogation (et le droit d’exclure les OGM)?

L'Etat doit démontrer à la Commission Européenne que les dispositions qu’il envisage sont fondées sur des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l’environnement ou du milieu de travail et qu’il les estime nécessaires en raison d’un problème spécifique qui le concerne et qui a surgi après l’adoption de la mesure d’harmonisation (3). Ces conditions sont cumulatives.

Dans le cas de la Haute Autriche, la Commission puis le TPI ont estimé que les conditions permettant de déroger à la législation harmonisée n’étaient pas satisfaites. C’est cette analyse que vient de confirmer la CJCE.

Sur le fond, l’Autriche expliquait d’abord que la « spécificité » du Land Oberösterreich relevait de la petite taille des exploitations agricoles et de l’importance de l’agriculture biologique sur ce territoire. Elle se prévalait ensuite d’un rapport dit « Rapport Müller » qui, selon elle, apportait des éléments scientifiques nouveaux permettant d’invalider les dispositions de la directive 2001/18.

Ayant besoin d’une analyse scientifique qu’elle n’était pas à même de fournir, la Commission a saisi pour avis l’EFSA (4), l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments.

Cette agence a estimé, d’une part, que la taille des exploitations et la présence de nombreux producteurs biologiques ne constituaient pas une « spécificité » de la Haute Autriche. Pour qu’une telle « spécificité » soit reconnue, il aurait fallu pouvoir établir que le territoire en question contenait « des écosystèmes particuliers ou exceptionnels nécessitant une évaluation des risques distincte » de celle menée ailleurs en Europe. Elle a d’autre part rejeté les arguments basés sur le rapport Muller. Selon l’Agence, ce rapport n’apportait aucune preuve scientifique nouvelle susceptible de justifier l’interdiction des OGM dans la Haute Autriche.

La Commission, comme le TPI, ont fait leur ces conclusions. Ils ont rejeté la demande de dérogation de l’Autriche, comme ne satisfaisant pas au moins deux des conditions indispensables à l’approbation de sa requête.

La raison scientifique…

On constate que, dans cette affaire, l’avis de l’EFSA a conditionné l’issue des débats.

Devant la Cour, l’Autriche s’est plainte du fait de n’avoir pas bénéficié de « droit de réponse » aux conclusions de l’Agence, alors qu’elle aurait dû bénéficier du principe du contradictoire. Cet argument ne fut pas accueilli par la CJCE.

Selon cette dernière, le législateur européen avait souhaité que la procédure en question soit rapide. Cela s’accordait mal du principe du contradictoire et de l’échange d’argumentaires, qui n’étaient pas prévus par les textes.

La procédure étant initiée non pas par la Commission mais par l’Etat notifiant, il lui appartenait d’être complet lors de sa demande.

Un gel un peu chaud

La France a dernièrement évoqué l’idée d’un gel de la commercialisation des cultures OGM.

On l’a vu, la Directive 2001/18 interdit à un Etat membre de restreindre ou empêcher la mise sur le marché d’OGM ayant été autorisés conformément à la législation communautaire.

Pour être autorisée à mettre en place un moratoire en l’Etat de la jurisprudence Autrichienne ci-dessus, la France devrait non seulement démontrer qu’elle dispose d’informations scientifiques nouvelles mais encore qu’elle rencontre un problème spécifique qui a surgi après l’entrée en vigueur de la législation européenne. Cette preuve, sans être impossible, sera très difficile à apporter.

Reste donc à faire un choix : s’affranchir des règles européennes, abandonner le projet de gel, ou engager une procédure de notification d’une réglementation instaurant un nouveau moratoire sur les OGM en espérant un assouplissement de la jurisprudence européenne. C’est cette dernière option qu’a récemment prise la Pologne.

La Pologne a en effet élaboré un projet de loi visant à instaurer une réglementation englobant tous les aspects des activités liées aux OGM. En substance, le projet de loi Polonais institue une procédure supplémentaire d’autorisation par les autorités et subordonne la culture d’OGM à l’accord des exploitants agricoles de la zone concernée.  Ce projet de législation s’analyse en une interdiction générale de la culture d’OGM assortie de la possibilité d’octroyer des autorisations au cas par cas et déroge aux règles fixées par la directive 2001/18.

La Pologne, reprend, un peu comme l’Autriche, l’argument de la taille des exploitations, très petites dans ce pays, dont elle met en avant la richesse de la biodiversité et la nécessité d’empêcher toute perturbation grave du bon fonctionnement de l’environnement. Elle indique également qu’il n’existe pas de législation nationale relative à la coexistence des trois types de culture (traditionnelle, OGM et biologique), ni de disposition sur l’indemnisation des dommages liés aux pollinisations croisées non maitrisées.

Une des différences entre les affaires Autrichiennes et Polonaises réside dans l’introduction en septembre 2003 (soit près la notification autrichienne, datant de mars 2003) d’un article 26 Bis à la directive de 2001 qui pose que « les Etats membres peuvent prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits ».

Cette disposition ne va pas, loin s'en faut, jusqu’à permettre une interdiction générale des OGM. Mais elle permet la mise en place de mesures de prévention…dont il conviendra de préciser l’exacte ampleur.

La Pologne ayant notifié sa requête le 13 avril 2007 (5), la décision de la commission devrait, sauf prorogation de délai, intervenir dans les tout prochains jours.

Bref, elle devrait intervenir avant le dégel….

Céline Marchand

(1) Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement

(2) Article 23 Directive 2001/18

(3) Article 95 § 5 du Traité CE

(4) EFSA ou AESA : Autorité Européenne de Sécurité des Aliments

(5) JOUE du 26 juillet 2007, n° 2007/C 173/05

19 août 2007

Petite Dissection du Règlement Bio Européen

Le 27 juillet 2007, la Communauté européenne publiait le Règlement CE 834/2007 relatif à la production et à l'étiquetage des produits biologiques. Il s’agissait de remettre à plat la réglementation communautaire antérieure propre à ce type de production sans insecticide ou pesticide de synthèse (1). Beaucoup de choses ont été dites à propos de ce règlement, dont un certain nombre de semi-vérités ou d’approximations. Je reviendrai donc sur quelques points qui ont parfois été un peu vite commentés : I) la fin des labels nationaux, II) la multiplication des logos, III) l’étiquetage bio, et IV) les OGM dans le bio.

Le Règlement ne constitue pas à lui seul, toutefois, l’ensemble de la Réglementation Bio européenne. Il ne fait « que » poser un cadre dont le contenu doit être complété. De nombreux aspects de la législation doivent encore être organisés. C’est à la Commission que revient cette tache. J’énumérerai donc à la fin de ce billet (V) l’ensemble des points restant en suspens et sur lesquels la Commission se penchera.

Très controversées, les premières moutures du Règlement CE 834/2007 ont laissé la place à une version finalement peu révolutionnaire. Bien qu’il soit loin de faire l’unanimité, ce texte confirme globalement les principes de la réglementation antérieure : interdiction des produits chimiques de synthèse, des traitements ionisants, et de l’utilisation d’OGM.

Applicable au 1er janvier 2009, le règlement se borne à tracer les grandes lignes du sujet et laisse à la Commission le soin de décider de ses modalités pratiques d’application (voir ci-dessous). Toutefois, certaines de ces dispositions bien que générales marquent une rupture avec la législation antérieure :

  • suppression des réglementations Bio nationales au profit d’une réglementation européenne harmonisée. Les Etats membres ne peuvent adopter de réglementation plus stricte sur les points régis par la réglementation européenne. Les « labels bio privés » plus stricts sont - par contre - autorisés (art. 34) ;

  • mais possibilité d’adopter des règles de production exceptionnelles pour adapter les normes bio aux « conditions climatiques ou géographiques locales, aux pratiques d'élevage particulières et aux différents stades de développement » (point 21, art. 22) ;

  • règles d’étiquetage modifiées (logo européen obligatoire, référence à la nature bio des ingrédients facilitée dans l’étiquetage etc.) (art. 23 à 26) ;

  • affirmation de l’interdiction de l’utilisation des OGM mais autorisation de ne pas étiqueter la présence fortuite ou inévitable d’OGM s’ils ne représentent pas plus de 0,9% de chaque ingrédient ou du produit fini  (art. 9) ;

  • actualisation des mécanismes de contrôles et d’importation des produits bio (art. 27 à 29 ; 31 à 33) ;

I. Fin des labels bio nationaux : harmonisation de la réglementation ?

On a beaucoup dit que le règlement interdit aux Etats membres de conserver ou d’adopter des règles nationales de production biologique plus strictes que la réglementation communautaire. Ce n’est pas tout à fait faux. Mais c’est seulement partiellement vrai.

En réalité, le règlement permet tout à fait aux Etats membres d’appliquer sur leur territoire des règles plus strictes en ce qui concerne la production biologique (article 34)… « à condition que ces règles soient également applicables à la production non biologique » ( !).

Il y a effectivement fort peu de chance que de telles règles soient adoptées. Ainsi, c’est indirectement que le règlement interdit aux Etats membres d’appliquer sur leur territoire des réglementations bio plus strictes, et qu’il sonne le glas des diverses réglementations nationales.

Il faut toutefois préciser que les Etats conservent un domaine d'intervention résiduel et temporaire. Le réglement prévoit que dans les cas où des modalités de production bio ne seraient pas prévues au niveau communautaire pour certains types d'espèces ou de plantes aquatiques et microalgues, les Etats membres peuvent garder/adopter des règles nationales (art.42). Dans ces cas, les règles communautaires d'étiquetage et de contrôle s'appliquent. Ces règles de production nationale auront cependant vocation à disparaitre. Elles ne sont autorisées qu'en attendant une éventuelle réglementation communautaire sur le sujet.

Le Réglement simplifie-t-il le paysage réglementaire ?


Je n’en suis pas certaine. Les « labels privés » restant autorisés, on pourrait tout à fait assister au remplacement des réglementations nationales uniques par de multiples règlements et chartes privés (sans compter les éventuelles modalités de production nationales "temporaires" ci-dessus).
Sans remettre aucunement en cause la légitimité de ces réglementations privées plus strictes, bien au contraire, on se doute que, s’il survient, cet éparpillement ne permettra pas au consommateur de mieux se repérer dans l’offre de produits bio et d’acheter en connaissance de cause.

On peut donc redouter l’effet inverse de l’effet désiré.

II. Des tas de logos

La juxtaposition probable des réglementations européennes et privées ne sera pas rendue plus claire grâce aux indications qui figureront sur les produits.

Trois types de logos vont en effet pouvoir être utilisés simultanément :

  • Le nouveau règlement impose l’utilisation du logo européen (art. 24, et 25,1) lorsque le terme « biologique » est utilisé pour la présentation du produit.

  • Le règlement permet également l’utilisation des logos nationaux, qui survivent à la disparition des réglementations spécifiques qu’ils désignaient jusqu’alors. Mais ils ne pourront être apposés que concomitamment au logo européen. L’utilisation du logo « AB » ne signifiera plus que le produit a été élaboré conformément aux normes bio françaises mais conformément aux normes européennes. Son usage permettra vraisemblablement de rassurer le consommateur - qui est habitué au logo national - et de le préparer en douceur à son abandon.

  • Le règlement permet enfin l’utilisation de logos privés (art. 25,2).

    Or, un logo ça va, trois…

On rappellera avec amusement que les autorités européennes se préoccupent depuis un moment de la rationalisation et de la  simplification des systèmes d’étiquetage. Elles souhaitent renforcer la compréhension que peuvent en avoir les consommateurs. Force est de constater qu’en ce qui concerne les produits bio, l’objectif pourrait être manqué !

III. Un étiquetage assoupli

Le terme « Biologique ». Le règlement fixe la liste des termes signifiant « biologique » dans les langues de l’union, et pouvant être utilisés pour indiquer au consommateur qu’il se trouve en présence de produits conforme aux spécifications de la réglementation bio communautaire. Personnellement, c’est le terme Finnois qui me plait le plus (« luonnonmukainen »).

  • Les produits étiquetés

Produits non transformés. Il s’agit des pommes, des poires, et des…etc. Les termes signifiant « biologique » peuvent être utilisés pour l’étiquetage et la publicité des produits non transformés s’ils sont en conformité avec le règlement.

Produits transformés (2). Il s’agit de toute sorte de produits allant de la confiture, à la purée en flocon en passant par les raviolis…Les termes signifiant « biologique » peuvent être utilisés dans la dénomination de vente (c’est le nom générique du produit, comme par exemple « beurre ») si au moins 95% de ses ingrédients (3) sont biologiques. Ainsi un fromage frais grec bien connu au bon lait de brebis contenant 90 % d’ingrédients bio ne pourra prendre la dénomination de « Fromage βιολογικό » (art.23.4).

Si le produit transformé a pour ingrédient principal un produit de la chasse (gibier) ou de la pêche, et que ses autres ingrédients sont bio, le terme « biologique » pourra être employé dans la liste des ingrédients et sur la présentation du produit, dans le même champ visuel que la dénomination de vente (art. 23.4, c)

  • Comparaison avec l’ancienne législation

Contrairement à ce que l’on a beaucoup écrit, l’exigence d’un certain pourcentage d’ingrédients bio dans l’aliment autorisant à faire état de ce mode de production ne passe pas de 70 à 95%.

L’ancien règlement (art. 5) prévoyait le dispositif suivant :

  • à partir de 95% d’ingrédients bio, un produit pouvait utiliser le terme « biologique » ou équivalent dans sa dénomination de vente (« beurre biologique »). (art. 5.3)

  • lorsqu’un produit contenait entre 70% et 95% d’ingrédients bio, et si les x % d’ingrédients conventionnels restants n’étaient pas disponibles en bio, il était possible d’apposer la mention selon laquelle « «X % des ingrédients d'origine agricole ont été obtenus selon les règles de la production biologique». (art. 5.5 bis)

  • En dessous de 70% d’ingrédients bio, il n’était pas possible de faire référence à la bio dans l’étiquetage  ou la publicité du produit.

Le nouveau règlement permet à présent d’indiquer la présence de tout ingrédient biologique entrant dans la composition du produit dans la liste des ingrédients, sans limite inférieure de pourcentage. Il ne sera toutefois plus possible d’utiliser la mention selon laquelle le produit contient x% d’ingrédients bio. Le règlement réserve l’usage du logo Bio aux produits ayant 95% d’ingrédients bio (art. 25).

Lorsqu’un gâteau au sésame contiendra ne serait-ce que 2% de bio (disons le sésame) :

*la liste des ingrédients indiquera que ce sésame est bio mais

*le paquet de gâteau ne pourra PAS arborer le logo communautaire.

Toutefois le règlement ne s’oppose pas à l’indication dans la publicité de la présence de l’ingrédient bio mentionné dans l’étiquetage. Ainsi la publicité pour notre paquet de gâteaux pourra parfaitement attirer l’attention du consommateur sur la présence de sésame bio dans la composition du produit.

  • Loyauté de la publicité

Interdiction de tromper. Conformément aux habitudes communautaires, le règlement interdit toute publicité (ou pratiques d’étiquetage, usages de termes ou de marques) qui pourraient induire le consommateur en erreur en lui faisant croire qu’un produit non conforme au règlement est un produit bio (art.23).

Cette précision vise bien sur les produits du type « Bio, de Danone ».

Elle vise également les publicités qui pourraient insinuer que le produit est globalement/entièrement bio alors que seuls quelques ingrédients le sont. Ainsi il ne sera pas possible, on s’en doute et en théorie, de distiller l’idée selon laquelle notre gâteau au sésame serait dans son ensemble bio alors que 2% seulement de ses ingrédients le seraient.

Conclusion

On passe d’un système dans lequel il était interdit de mentionner l’origine bio d’ingrédients si le produit en contenait moins de 70%, à un système ou tout ingrédient bio peut être mentionné dans la liste des ingrédients et faire l’objet d’une publicité spécifique. Il ne semble donc pas que le nouveau système d’étiquetage soit plus strict que l’ancien. Au contraire, le Bio pourra s’afficher plus facilement.

IV. Des OGM bio ?

  • Interdiction d’utilisation des OGM.

Le règlement pose clairement le principe de l’incompatibilité du mode de production biologique et des OGM : l’utilisation d’OGM et de produits obtenus à partir d’OGM est interdite en production biologique (art.9). Ainsi les semences OGM sont interdites dans l’agriculture bio, les produits contenants des OGM sont interdits dans l’agriculture bio et les produits manufacturés ne peuvent se prévaloir du label bio s’ils contiennent des OGM.

En imaginant que des semences OGM soient cultivées sans insecticides ni pesticides de synthèse, selon les méthodes de production biologiques, elles ne pourraient se prévaloir du label.

De même, des récoltes biologiques mélangées avec des récoltes OGM ne pourraient être vendues sous le sigle bio. Elles seraient déclassées et devraient être vendues comme des récoltes conventionnelles (4). Dans ce cas, un étiquetage spécifique mentionnerait la présence d’OGM dans les produits.

  • Tolérance et étiquetage. 

Cependant, concernant « l’étiquetage OGM », le régime des produits bio a été aligné sur celui des produits conventionnels.

Réglementation générale d’étiquetage OGM. Le Règlement 1829/2003 exclut de l’obligation d’étiquetage OGM les « denrées alimentaires renfermant un matériel contenant des OGM, consistant en de tels organismes ou produit à partir de tels organismes dans une proportion n'excédant pas 0,9 % de chaque ingrédient, à condition que cette présence soit fortuite ou techniquement inévitable » (article 12.2).

Ne sont donc pas soumis à l’obligation de mentionner la présence d’OGM, lorsque cette présence est involontaire, les aliments contenant globalement jusqu’à 0,9% d’OGM et ceux dont chaque ingrédient pris individuellement contient jusqu’à ce seuil.

Si un aliment contient un ingrédient qui a été contaminé fortuitement à 50% par des OGM qui ne représente que 0,5% de sa masse totale, l’étiquetage de l’aliment devra mentionner la présence des OGM dans cet ingrédient.

Le seuil de 0,9% s’applique donc ingrédient par ingrédient, indépendamment de sa proportion dans le produit fini.

Réglementation appliquée au bio. Ainsi dans certains cas et dans une certaine mesure, des produits bio pourront ne pas mentionner la présence d’OGM dans leur composition. Tout dépend donc de la raison et du pourcentage de contamination.

S’il contient plus de 0,9% d’OGM, un produit « bio » sera déclassé, peu importe comment la contamination sera survenue. L’étiquetage devra mentionner la présence des OGM dans le produit.

Si la présence d’OGM dans un produit bio est volontaire, résulte d’une négligence, ou était évitable, le produit ne pourra se prévaloir du label bio. Peu importe le pourcentage d’OGM qu’il contient : il sera déclassé, même s’il comprend 0,9% ou moins de 0,9% d’OGM.

Si la présence d’OGM provient d’une contamination fortuite (non volontaire) ou techniquement inévitable, le produit ne serait déclassé que dans le cas ou la contamination OGM dépasserait 0,9%.

Le tout peut être ainsi récapitulé :

% d’OGM dans le Bio

Mode de contamination

Conséquence

> 0,9%

Tous modes

Déclassement des produits Bio en produits conventionnels.
Mention de la présence d’OGM sur l’étiquetage.

≤ 0,9%

Volontaire, par négligence ou techniquement évitable

Déclassement des produits Bio en produits conventionnels.

Mention de la présence d’OGM sur l’étiquetage.

≤ 0,9%

Fortuite ou techniquement inévitable

Les produits peuvent rester étiquetés « Bio » selon le Règlement Communautaire.

Pas de mention de la présence d’OGM sur l’étiquetage.

Possibilité pour le producteur d’être exclu d’un « label Bio privé » plus restrictif.

Juridiquement, le seuil de 0,9% n’est pas un plafond jusqu’auquel les OGM sont autorisés dans le bio. C’est un seuil partir duquel on considère qu’une contamination accidentelle (fortuite ou inévitable) doit faire l’objet d’un signalement, et donc d’un étiquetage spécifique.

Ce seuil pose donc la question de la preuve du caractère fortuit ou inévitable de la contamination. Cette preuve pourra être apportée par la production de multiples documents (cahiers des charges, contrats d’approvisionnement, de distribution, de transport, d’entreprise…etc.) qui, ensemble, attesteront des méthodes du producteur et des processus adoptés pour éviter la contamination.

Le règlement précise que si l’étiquetage d’un produit ne mentionne pas la présence d’OGM, les opérateurs pourront se fier à lui présumer qu’il ne contient effectivement pas d’OGM (art. 9.2).

On peut interpréter ce seuil de diverses façons. Il peut être compris comme un moyen de ne pas automatiquement priver du fruit de leur travail les producteurs bio qui seraient involontairement contaminés par des OGM. La question de la responsabilité de la réparation des contaminations n’ayant pas trouvé à l’heure actuelle de réponse spécifique, cette disposition peut se voir comme une technique permettant de se dispenser de poser la question de la responsabilité de la contamination au dessous de ce seuil. Elle peut enfin être interprétée comme une façon de simplifier la législation et le travail des « contrôleurs », en alignant les règles d’étiquetage OGM des produits bio sur les produits conventionnels.

  • OGM et Responsabilité.

La question de la responsabilité en cas de contamination et de la charge du coût du déclassement des produits bio en conventionnels reste posée.

Il semble que les assurances refusent de garantir le risque OGM. Or il n’existe pas pour l’instant de régime spécifique de réparation pour les producteurs, dans l’éventualité où leurs produits seraient d’une contaminés par des OGM. Le droit commun (civil et administratif) doit donc s’appliquer, avec les problèmes habituels de preuve et de coût inhérents à ce type de procédure. 

Pollueurs-payeurs. On a beaucoup parlé de la Directive 2004/35/CE dite « pollueur-payeur ». Portant sur la responsabilité environnementale, cette directive vise à donner aux Etats membres des outils juridiques leur permettant de contraindre les exploitants à prévenir ou réparer les dommages  environnementaux qu’ils pourraient créer dans le cadre de leur activité. 

Le droit français connaissait déjà ce principe : le code de l’environnement prévoit que la protection des milieux naturels doit s’inspirer de divers principes, dont le principe de précaution et « 3º Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur » (art. L110-1). Il gagnait cependant à être développé.

La directive pose le principe selon lequel l’exploitant dont l’activité a causé un dommage environnemental ou une menace imminente d’un tel dommage doit être tenu pour financièrement responsable. L’idée est de sensibiliser les exploitants aux risques environnementaux par l’intermédiaire des risques financiers associés. Le texte explique avoir pour objectif « d’inciter les exploitants à adopter des mesures et à développer des pratiques propres à minimiser les risques de dommages environnementaux de façon à réduire leur exposition aux risques financiers associés » (point 2).

En clair, cette directive permet aux Etats membres de demander aux entreprises de prendre des mesures de prévention (et non de précaution) et/ou de réparer les conséquences des dégâts que leur activité pourrait avoir causé à l’environnement.

Cette directive n’est pas - en tant que telle - applicable aux réparations des dommages causés aux producteurs victimes de la contamination de leurs récoltes par des OGM. En effet, le texte précise qu’il « ne confère aux parties privées aucun droit à indemnisation à la suite d’un dommage environnemental ou d’une menace imminente d’un tel dommage (art.3.3). Son point 14 est même plus explicite : « la présente directive ne s'applique pas aux dommages corporels, aux dommages aux biens privés, ni aux pertes économiques et n'affecte pas les droits résultant de ces catégories de dommages ».

Cependant, la directive permet aux Etats membres d’adopter des dispositions plus strictes (point 29, art. 16). Rien n’interdit donc à La France d’adopter une réglementation permettant la mise en place d’un système de réparation automatique, à l’instar du système existant déjà pour les victimes d’accidents médicaux.

La directive pollueur-payeur devait être transposée en France au plus tard le 30 avril 2007 (art.19). Un projet de loi a été présenté le 4 avril 2007. Il est toujours « en gestation ». Toutefois, ce projet n’élargissait pas aux personnes privées le droit à réparation.

V. Un règlement où tout reste à décider ?

Le Règlement Bio constitue l’architecture générale de la future réglementation. La Commission, assistée par un Comité de Réglementation chargé de la production biologique (article 37 du règlement), a maintenant pour mission de fixer l’ensemble des critères, conditions et dispositions permettant sa mise en œuvre concrète.

L’ensemble de ces prérogatives est résumé à l’article 38. En substance, la Commission a pour mission d’arrêter les modalités des règles de production, d’étiquetage, de contrôle, d’importation et de circulation des produits biologiques.

Sa tâche est extrêmement vaste, ainsi qu’en attestent les divers points sur lesquels elle aura à se prononcer. Plus précisément, elle fixera :

  • les mesures de mise en œuvre de l'interdiction d'utiliser des OGM ou des produits obtenus à partir d'OGM ou par des OGM (art. 9) ;

  • les conditions particulières permettant à une exploitation d’être scindée en unités qui ne sont pas toutes gérées selon le mode de production biologique (art. 11) ;

  • les mesures nécessaires à la mise en œuvre des règles applicables à la production végétale (art. 12), animale (art.14), aux algues marines (art. 13) et aux animaux d’aquaculture (art. 15),

  • l’utilisation et la liste restreinte des produits et substances susceptibles d’être utilisés en tant que produits phytopharmaceutiques, engrais, additifs pour l’alimentation animale, produits de nettoyage et de désinfection des installations utilisées pour la production animale et végétale ;

  • les conditions et les limites en ce qui concerne les produits agricoles auxquels ces produits peuvent être appliqués (méthode d'application, dosage, dates limites d'utilisation) et, si nécessaire, du retrait de ces produits (art. 16) ;

  • les mesures et conditions nécessaires à la mise en œuvre de règles relatives à la conversion (périodes nécessaires etc.) (art. 17) ;

  • les mesures nécessaires à la mise en œuvre des règles applicables à la production de denrées alimentaires transformées (art.19) et notamment des méthodes de transformation ; à la production d’aliments transformés pour animaux (art. 18) ;

  • les règles de production des levures biologiques (art.20) ;

  • l’autorisation des additifs, aromes, et ingrédients agricoles non biologiques, leur inclusion dans la liste restreinte et leurs conditions d’utilisations ; si nécessaire de leur retrait (art. 21) ;

  • les conditions spécifiques de dérogation aux règles générales de production biologique (art. 22) ;

  • les adaptations à la liste des termes suggérant que les produits désignés sont obtenus conformément aux dispositions du règlement (art. 23) ;

  • les critères spécifiques en ce qui concerne la présentation, la composition  et la taille de l’indication de l’endroit où les matières premières du produit ont été produites, du numéro de code de l’organisme de contrôle dont dépend l’opérateur (art. 24) et du logo communautaire (art. 25) ;

  • les exigences particulières en matière d’étiquetage des aliments biologiques pour animaux, des produits d'origine végétale issus de la production en conversion, du matériel de reproduction végétative et aux semences utilisés aux fins de culture (art. 26) ;

  • les mesures de précaution et de contrôle (art. 27), des modalités relatives à la procédure de notification et de soumission au système de contrôle des opérateurs (art. 28) ;

  • la forme des documents justificatifs fournis par les autorités et organismes de contrôle à tout opérateur qui fait l'objet de leurs contrôles et remplit les exigences du règlement (art. 29);

  • la forme de la communication à effectuer en cas d’infractions et d’irrégularités (art. 30) ;

  • la procédure de reconnaissance de la compétence des autorités et organismes de contrôle (art. 32 ; 33) ;

  • les pays tiers dont le système de production répond à des principes et à des règles de production équivalents (art. 33).

Ainsi, si le cadre de la réglementation est fixé, des pans entiers restent à préciser ou à confirmer. Le règlement étant applicable au 1er janvier 2009, ce travail devrait s’effectuer rapidement.

Cela ne signifie pas que tout reste à faire, mais que tout n’a pas encore été fait.

Céline Marchand

(1) Le Règlement 2092/91 du 24 juin 1991.

(2) Les denrées alimentaires transformées doivent être principalement fabriquées à partir d’ingrédients d’origine agricole, c'est-à-dire et bien que cela ne soit pas précisé, issus de la culture et de l’élevage bio (art. 19).

(3) Le pourcentage est exprimé en poids.

(4) Les récoltes « conventionnelles » désignent ici les récoltes produites selon des méthodes non-bio, utilisant pesticides et insecticides de synthèses. 

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